privilège de cette chambre à des desseins factieux. On cherche à captiver, à confisquer le souffle de l’inconstante multitude, parce qu’apparemment on prend sa voix, qui maintenant est celle des libelles, pour la voix de Dieu. »
Ces paroles font assez connaître ce que les lettres de Junius étaient, au temps de leur publication, pour l’opposition et le gouvernement. Ces lettres rivalisaient, dans l’attention publique, avec les discours de Chatham ; mais rien n’est plus fugitif que la renommée de l’écrivain politique. Dès qu’il cesse d’émouvoir les passions du jour, il est oublié. Tant que Junius avait écrit, l’enthousiasme et l’indignation, la curiosité et le ressentiment lançaient sur sa trace un public inquiet. Du temps que les courriers de la poste criaient, en traversant les villes, qu’ils apportaient un Junius avec leurs dépêches, son nom secret était le mot ardemment cherché d’une énigme irritante. Quand il se tut, de nouveaux débats, de nouvelles passions vinrent distraire la foule mobile ; plus de quarante ans s’écoulèrent sans que l’on pensât bien sérieusement à lui ; il n’occupa plus que les curieux des singularités de la littérature. Parfois quelques auteurs de mémoires essayèrent en passant une conjecture, risquèrent une anecdote, hasardèrent un nom. L’opinion publique demeurait incertaine ou indifférente. L’épigraphe de la première édition des lettres, stat nominis umbra, restait le dernier mot de tous, et l’on attendait assez patiemment que quelque révélation fortuite ou volontaire vînt divulguer un secret qui n’agitait plus personne. D’ailleurs, les grands événemens de la fin du dernier siècle et du commencement de celui-ci avaient imprimé un mouvement nouveau aux idées et aux passions politiques, et même dans le cercle limité de l’arène du parlement d’Angleterre, les luttes d’un autre Pitt et d’un autre Fox avaient affaibli le souvenir des débats jadis célèbres auxquels se rattachent les noms de lord Holland et de lord Chatham.
Ce n’est que vers la fin des guerres de la révolution et de l’empire, en 1813, que George Woodfall, fils de l’imprimeur du Public Advertiser, fit paraître la première édition complète des œuvres de Junius, celle qui a servi de base à toutes les éditions subséquentes, à toutes les recherches ultérieures, à tous les commentaires qui nous ont guidé à notre tour. Cette édition contenait, outre la préface et les lettres publiées en 1772 sous les yeux de l’auteur, de précieuses additions et notamment les billets confidentiels de Junius à son imprimeur, sa correspondance privée avec M. Wilkes et deux lettres politiques en partie inédites adressées par lui à ce grand agitateur, enfin le recueil de diverses lettres souscrites de signatures pseudonymes, que Woodfall avait insérées dans son journal, et qu’il croyait pouvoir, sur de bonnes raisons, attribuer à la même main. Ce recueil renferme en effet tout ce