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Appuyé sur cette autorité nous continuons d’écarter de la lice tous les concurrens déjà nommés. Nous ne mentionnons que pour le déclarer non recevable Charles Lloyd, personnage peu connu, dont l’auteur de cinq lettres sur Junius, M. Barker, a soutenu habilement la cause, bien discutée et bien jugée, selon nous, dans l’ouvrage de M. Jaques. Nous ne nous arrêtons pas davantage à l’opinion de M. Grey. qui se prononce pour Horace Walpole[1]. Walpole écrivait bien. Son esprit est piquant, mordant, dédaigneux ; mais l’élégant amateur des arts et des lettres, l’homme du monde oisif et moqueur, whig fidèle, mais dégoûté, qui ne se refusait aucun des divertissemens de l’esprit, n’avait de Junius ni toutes les opinions, ni les haines, ni les violentes passions. Sa vie, ses goûts, ses affections, son scepticisme, rien ne s’accorde avec l’œuvre de colère qu’on lui veut attribuer.

Disons encore un mot de deux solutions mystérieuses données à la mystérieuse question.

Dans le cimetière de Hungerford, Berks, on lit sur une table de pierre : « Ici sont déposés les restes de William Greatrakes, esq., natif d’Irlande, qui, en venant de Bristol, mourut en cette ville, dans la cinquante-deuxième année de son âge, le 2 août 1791. Stat nominis umbra. » Ces derniers mots ont paru indirectement désigner celui dont ils étaient la devise. On a raconté que ce Greatrakes, allant de Bristol à Londres, était tombé malade dans l’auberge de l’Ours, à Hungerford, et qu’avant d’y mourir il avait révélé son secret aux témoins de ses derniers momens. Il paraît mieux prouvé que cet homme, né dans le comté de Cork en 1725, avait été élevé pour le barreau ; qu’après une pratique de quelques années, étant devenu officier, il quitta les armes pour revenir plaider devant la juridiction militaire ; que ses succès dans cette profession le firent connaître de lord Shelburne, dans la maison duquel il était familièrement reçu pendant le temps où parut la correspondance de Junius. Cette protection lui fit obtenir plus tard une demi-solde d’officier, et il se retira dans une petite propriété près de Youghall, où il passa les dernières années de sa vie à écrire. Avant de mourir, il fit venir dans son auberge un capitaine Stopford, du 63e régiment d’infanterie, le nomma son exécuteur testamentaire, et lui confia beaucoup de papiers. C’est dans ces papiers qu’on aurait vu ou cru voir à son é(ri tare qu’il était ou Junius lui-même ou un secrétaire de Junius ; mais cette anecdote se rattache à l’opinion jadis soutenue, que les fameuses lettres avaient été écrites dans la maison de lord Shelburne ou sous son inspiration, si ce n’est par lui-même. Bien des invraisemblances morales et politiques s’élèvent contre cette supposition, que n’appuie aucune preuve directe. Lord Shelburne

  1. Letters of H. Walpole, édit. de 1840, t. VI.