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partialité révoltante ; il favorisera les uns aux dépens des autres sans pour justifier ses préférences ; mais, d’un autre côté, si l’on en vient là, qu’est-ce que signifiera la protection ? Chacun, il est vrai, vendra ses produits plus cher, mais il, paiera plus cher tout ce qu’il achètera. La main droite gagnera, la main gauche perdra. On sera bien avancé !

Les personnes qui veulent que la qualité de citoyen français se traduise pour les maîtres de forges, ou les filateurs, ou les fabricans de poterie ; de glaces, d’acier, etc. ; par la faculté de se faire payer des redevances par le public, oublient ce qui se passa en 1789. Les ordres privilégiés étaient français, et bons français ; de même les membres des corporations, toutes privilégiées, d’arts et métiers. Cela parut-il à nos pères une raison pour maintenir à la noblesse ou au clergé les avantages exclusifs dont ils avaient joui jusque là, ou, pour conserver les maîtrises et les jurandes ? Puisque les manufacturiers protégés veulent bien faire remarquer au public qu’ils sont Français, le public est fondé à leur répondre qu’il est flatté de les posséder pour compatriotes, mais que, de leur côté, ils ont à prouver qu’ils sont dignes du titre de citoyen français par leur dévouement à la patrie. C’est ainsi que faisait la noblesse autrefois, messeigneurs : elle revendiquait le titre de Français en bravant la mort sur les champs de bataille. Votre carrière est celle de l’industrie : montrez votre patriotisme comme il vous appartient, en travaillant mieux ou aussi bien que qui que ce soit. Le patriotisme, de l’industrie nationale consiste à ne pas laisser à l’étranger la palme du bon marché : soyez patriotes, de cette façon, et vous en recueillerez aussitôt la récompense, sans qu’une loi de l’état y soit nécessaire. Nous avons revendiqué la liberté et la justice, il y a soixante ans ; contre les ordres privilégiés et contre les corporations ; nous avions raison, et nous avons triomphé. Sachons à notre tour respecter la justice et la liberté : c’est le moyen d’être respectés nous-mêmes dans notre liberté, c’est le moyen d’obtenir que la justice ne cesse pas d’être observée envers nous-mêmes.


IV. – LE SYSTEME PROTECTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC LE BIEN-ÊTRE DES OUVRIERS ET AVEC LA MORALE PUBLIQUE – SI EN LE REPUDIANT ON DOIT CRAINDRE DE RUINER L’INDUSTRIE.

Les protectionistes, quand on les presse, disent que ce n’est pas pour eux-mêmes qu’ils réclament. Si, toutes les fois qu’il s’agit de toucher au tarif de la douane pour le rendre moins impitoyable et faire un pas vers la liberté du commerce, ils insistent pour qu’on n’y change rien, ne croyez pas que ce soit parce que le système protecteur leur profite : ils sont le désintéressement même ; ils sont prêts à faire sur