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l’autel de la patrie tel sacrifice qu’on voudra ; ils ne plaident que pour leurs ouvriers, qu’ils aiment comme leurs enfans. Ils ne manquent pas une occasion de le dire, et ils l’ont répété, avec des larmes dans la voix, l’an passé, dans les délibérations du conseil général de l’agriculture, des manufactures et du commerce. De sorte que les chefs protectionistes combattraient avec nous, si on leur démontrait que les ouvriers ont perdu et perdent chaque jour plus qu’ils ne gagnent au régime protecteur. Or, la démonstration est aisée. Le système protectioniste est particulièrement funeste aux ouvriers. Il n’a aucune puissance pour augmentée les salaires, et il diminue le pouvoir que les salaires procurent aux ouvriers pour la satisfaction de leurs besoins. Il est sans influence sur les salaires, quoiqu’on crie bien haut le contraire : car ce qui détermine les salaires pour une population donnée, c’est le montant du capital qui est affecté annuellement par les entrepreneurs d’industrie à payer leurs collaborateurs. On l’a vu plus haut, le système protecteur n’a point, pour susciter du capital, la même vertu, à beaucoup près, que la liberté ; il diminue la fécondité du travail de la société, c’est-à-dire la somme des produits dont la société peut disposer, et, réduisant ainsi le fonds sur lequel l’économie est possible, il restreint l’épargne et partant le capital. Ainsi, impuissant ou moins puissant pour faire du capital, le système protecteur est atteint d’une faiblesse radicale lorsqu’il s’agit de l’augmentation des salaires. Quant à savoir s’il ajoute à l’utilité que l’ouvrier retire d’un salaire déterminé, la négative est aisée à constater : il hausse les prix de la plupart des articles de consommation ; il s’en vante, c’est par là qu’il protége. Voilà donc le bilan du système protecteur : sans lui, par la progression plus rapide qu’aurait suivie le capital national, tel salaire qui est de 2 fr : , par exemple ; serait de 2 fr, 50 cent. et puis ; grace à lui encore, ce salaire de 2 fr. procure à l’ouvrier une somme de satisfactions que, sous le régime de la liberté du travail, il se procurerait avec 1 franc 75 cent. peut-être 1 fr. 50 cent.

Au sujet de l’humanité du système protecteur qu’on me permette une observation. Les protectionistes applaudissent au progrès du bon marché quand c’est la conséquence des machines ou d’autres appareils pourquoi veulent-ils le proscrire quand il s’accomplit par les échanges internationaux ? Est-ce que le sentiment de haute sociabilité en vertu duquel les Européens se considèrent tous comme de la même famille et tendent à échanger, pour le plus grand bien commun, leurs services divers, leurs productions diverses, n’est pas aussi conforme à notre nature, aussi bien sanctionné par la religion et par la voix de notre conscience, que l’aptitude de l’homme à imaginer des combinaisons de rouages et de leviers, d’alambics, de filtres et de cornues ? Oh ! dit-on, l’admission des produits étrangers causerait des perturbations.