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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1078

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Cette marche silencieuse embarrassait les deux généraux, l’éperon le fit comprendre aux chevaux, et nous traversâmes rapidement les jardins de Tlemcen, bénissant les rois auxquels ce pays doit en partie sa fertilité : ce sont, en effet, les rois de Tlemcen qui ont fait construire un bassin immense où les eaux viennent se réunir avant de se répandre dans la plaine. Ce bassin était si grand, qu’il servit plusieurs fois, lorsqu’on le répara, de champ de manœuvre à un escadron de cavalerie. Tlemcen se divise en deux enceintes. La ville, ses maisons à un étage, et ses rues étroites se groupent autour d’une enceinte fortifiée nommée Mechouar, que les anciens rois avaient fait construire. Le Mechouar renferme maintenant de belles casernes et des établissemens militaires. La maison des hôtes où le général était descendu se trouvait dans la première enceinte. Aussitôt son arrivée, selon l’usage, il se mit à expédier rapidement les affaires réservées à son appréciation, et s’occupa surtout avec le général Cavaignac de l’établissement des nouveaux colons, presque tous anciens soldats libérés, braves gens, bien constitués, mais célibataires ; or, pour fonder une colonie, la ménagère est nécessaire, et la ménagère manquait. Le général Cavaignac et le général Lamoricière, afin de parer à cet inconvénient très sérieux, adressèrent en bloc des demandes de mariage à l’établissement des orphelines de Marseille, et maintenant sans doute les épousées vivent près de Tlemcen, propriétaires heureuses et mères de famille.

Le soir, comme nous étions occupés à écrire sous la dictée du général, dans une petite pièce mauresque d’une forme allongée, deux cavaliers arabes s’arrêtèrent devant la porte c’étaient les deux coureurs envoyés de Bel-Abbès dans la direction des hauts plateaux, afin de nous renseigner sur la position des Hamian-Garabas. Ces hommes avaient une figure remarquable ; accroupis sur le sol, immobiles, les bras cachés sous le burnous, l’impassibilité de leur physionomie donnait un nouvel éclat à leur regard, d’où par momens jaillissait l’éclair, et qui se voilait l’instant d’après, cachant sous une bonhomie confiante la finesse et la ruse. On reconnaissait de ces routiers ; formés par l’habitude de l’embuscade, qui d’un coup d’œil saisissent le terrain, reconnaissent la piste. Coupeurs de route, gens de sac et de corde, prêts à tout faire si la mauvaise action était bien payée, mais honnêtes et consciencieux dans le mal, tenant loyalement la promesse donnée, ces deux hommes étaient des agens précieux, dont le général de Lamoricière se servait plus habilement que pas un. Assis sur un petit tabouret, en face d’eux, il ne les quittait pas du regard, lisant leur visage. Leurs paroles s’échangeaient à voix basse, et la lumière vacillante d’une bougie placée sur la table voisine animait tout à coup, par ses reflets changeons, ou rejetait brusquement dans l’ombre ce