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cité, dont les blanches maisons s’appuient d’un côté aux flancs d’une montagne rocheuse, qui lui jette en cascades magnifiques ses eaux jaillissantes, et voient à leur pied une riche ceinture de jardin embaumés, tandis qu’au loin les collines succédant aux collines, les montagnes aux montagnes, vont se confondre avec la ligne bleue du ciel.

Au-delà du pont, nous voyions le général Cavaignac et les officiers de la garnison qui venaient saluer le général de Lamoricière, car le général Bedeau, nommé lieutenant général ; était allé prendre le commandement de la province de Constantine. Les deux chefs s’avancèrent, le général Cavaignac faisant les premiers pas, ainsi que le voulait la discipline militaire, saluant comme le prescrivait le règlement ; mais sa froideur glaciale, le silence qu’il garda dès qu’il eut prononcé la phrase d’usage, furent remarqués de tous. Une petite cause produit souvent un grand effet, dit le proverbe : le proverbe, cette fois-ci, avait encore raison Je ne sais plus quel oubli de bureau, dans lequel le général Cavaignac avait cru voir une atteinte portée à sa dignité, expliquait son attitude si grave.

Absolu dans le commandement, énergique dans l’action, lent à se décider, parce qu’il est lent à comprendre, mais cachant ce travail laborieux sous un silence solennel et ne parlant que lorsqu’il s’est décidé, le général Cavaignac était estimé de tous, aimé de quelques-uns, redouté par beaucoup Ceux qui avaient eu des rapports avec lui étaient cependant unanimes à reconnaître que, si l’on s’adressait à son cœur, cette dignité orgueilleuse dont il se plaisait à s’entourer disparaissait pour faire place à une bienveillance toute paternelle ; mais ces momens d’oubli étaient rares. Le silence dans lequel vivait le général, cet isolement qu’il se plaisait à créer autour de lui, exaltaient froidement son imagination, et le feu sombre de son regard indiquait un homme qui s’est cru toute sa vie voué au sacrifice, même lorsque les grades et les dignités de l’état venaient le chercher ; car, cette justice doit lui être rendue, ces grades, il les a reçus, mais son orgueil était trop grand pour aller au-devant d’eux. C’est ainsi que le général Cavaignac, à force de se créer un modèle et de le placer constamment devant ses yeux par le culte des souvenirs, préférant sa propre estime à l’opinion du monde, finissait, par éprouver les sentimens les plus opposés à son caractère et à son instinct. Dans sa carrière militaire, le général Cavaignac avait donné de nombreuses, preuves de sa froide obstination. Il obtint son grade de commandant dans cette ville e même de Tlemcen en 1836, lors de l’expédition du maréchal Clauzel, quand il se maintint dans la place durant six mois privé de tout secours et de toute nouvelle. Ce fut une des belles actions de sa vie de soldat ; au reste, le général Cavaignac ne manqua jamais à la guerre, lorsque la guerre lui offrit l’occasion de s’abandonner au danger et à la lutte.