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de cette dernière ville, semblèrent avoir épuisé tout ce que le général Rayon avait d’énergie morale et de science militaire. De ce moment commença pour lui une longue série de fautes qui, à de rares exceptions près, lui donnèrent toujours le désavantage dans toutes ses rencontres avec les troupes espagnoles. Dès-lors Rayon, quoique d’une bravoure qui demeura toujours incontestable, douta de sa fortune. Au moindre échec dans le début d’une action, le général mexicain, découragé, se tenait pour battu, et lâchait pied sans chercher à regagner l’avantage momentanément perdu. Bientôt, sous le poids de ses défaites répétées, Rayon vit, à la prise de Zitàcuaro, s’éclipser le prestige et la gloire de son nom. Depuis cette journée fatale, Rayon, que son étoile avait abandonné, ne fut plus, il faut le dire, qu’un obstacle aux progrès de l’indépendance. Dénué de la grandeur d’ame nécessaire pour descendre de son propre gré du poste élevé où il était parvenu, il employa toute l’activité de son esprit à contrarier l’avènement de généraux plus heureux ou plus habiles que lui. Ses prétentions à garder un commandement suprême dont le poids l’écrasait devinrent funestes à la cause de l’insurrection, et répandirent de nombreux germes de discorde parmi les chefs de l’armée révolutionnaire. Heureusement pour la cause mexicaine, une nouvelle réputation militaire grandissait loin de Rayon. C’était celle de l’homme à qui l’histoire assignera sans nul doute le premier rang parmi les généraux qui soutinrent le nouveau pavillon mexicain, et dont pourtant les prétentions de Rayon devaient finir par causer la perte, l’illustre général Morélos.

L’histoire de Cureño était celle même du général Rayon, et m’avait retracé un des épisodes les plus singuliers de cette guerre. La nuit, autour de nous, était devenue complète, les feux des muletiers s’étaient éteints, et les solennelles harmonies de la solitude avaient remplacé les bruits confus qu’une heure auparavant la brise apportait encore a nos oreilles. Il était temps de regagner notre gîte et de nous préparer, par quelques heures de sommeil, à la traite du lendemain. Toutefois, avant de rentrer à la venta, je tenais à éclaircir un doute que le récit du capitaine laissait subsister en moi. — Et Cureño, dis-je à don Ruperto, son pays s’est-il au moins souvenu de lui ? Son nom ne vivra-t-il pas dans la mémoire des Mexicains à côté de celui du général qu’il a sauvé par son héroïque dévouement ?

— Hélas ! me répondit don Ruperto, quelques lignes consacrées au vieux soldat par les historiens de la guerre de l’indépendance, voilà quelle a été toute sa récompense, et, quand la race énergique dont il fut un des plus nobles types aura disparu du Mexique, personne ne pourra dire dans le pays ce que le général Rayon doit à Valdivia Cureño.


GABRIEL FERRY.