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adversaire ; mais, au moment décisif, une tendre pitié s’éveille dans le cœur de la grande Isopel, vierge musculeuse et sensible dont la vertu est restée intacte, à travers mille vicissitudes, sous la garde de deux poings redoutables et redoutés.- La jeune géante intervient et protége contre son maître, — aidé de Marguerite-la-Grise - le gentleman inconnu dont la bonne grace et le courage ont pénétrée d’admiration. L’Étameur Rouge et sa femme maudissent à l’envi l’infidèle alliée qui les trahit de la sorte ; mais, pour toute vengeance, ils ne peuvent que l’abandonner à son malheureux sort. — c’est la livrer aux enivremens d’une passion naissante, — celle qui asservit Samson à Dalilah. Ici seulement, les rôles sont renversés.

Ce que devint cette passion et comment Lav-Engro fut séparé d’Isopel, — quelles circonstances l’amenèrent plus tard à s’enrôler dans les rangs de la milice évangélique et à devenir l’agent de la Biblical Society, — nous l’ignorons encore et pour cause. « Bonne nuit, mon jeune monsieur !… - Dormez bien, belle demoiselle !… » C’est ainsi nous l’avons dit, que M. Borrow donne congé à ses lecteurs. Nous ne traiterons pas si lestement l’auteur de Lav-Engro. Nous entendons, avant d’en finir avec lui, faire nos réserves contre ce qui pourrait être, après tout, un caprice de notre jugement, une sorte de fantaisie critique, ou plutôt de séduction subie. La multiplicité des lectures et l’espèce de satiété quelle engendre rendent particulièrement précieux les dons que nous lui avons reconnus : — l’allure franche, le naturel, la phrase prime-sautière, l’esprit alerte et courant, la bonne grace sans façon, sans prétentions, l’individualité bien accusée, — bref, un ensemble de qualités fort rares maintenant, et que M. Alfred de Musset a résumé par cette locution bien frappée : « Boire dans son verre ! » - Dans son verre, et non dans celui d’autrui ! Le verre peut n’être pas bien grand ni le vin très vieux ou très fin, mais on leur sait gré de n’être ni le verre d’un chacun ni le vin banal du cabaret ouvert à tous. Un autre mérite, non moins goûté des liseurs professionnels, et qu’il faut reconnaître à l’auteur de Lav-Engro, est celui qui consiste à transporter sur les pages froides d’un livre quelques parcelles, tièdes encore ; de la vraie vie humaine, de la vraie nature, de la vraie passion. Sur cent écrivains, tous ayant du talent, combien ont celui-là ? Sur mille, combien ? Pas un peut-être. La règle les domine, la convention les perd : ils ont peur de faillir en s’abandonnant à leur naturelle façon d’être, peur qu’on ne les raille s’ils ne se conforment aux belles traditions de la belle littérature. Quelques-uns font semblant de s’en affranchir, mais prenez-y garde et vérifiez de près les choses avant de tenir pour bonne leur originalité préméditée, leur négligé de commande, leur brutalité très étudiée et très coquette !

Si M. Borrow nous trompe à cet égard, convenons qu’il y met un art