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basse, quittaient leurs siéges pour descendre dans la rue. Depuis le haut de la galerie jusqu’en bas ; c’était comme un flot ondoyant de tuniques aux broderies éclatantes qui s’écoulait majestueusement et en silence, tandis que le prince demeurait seul à sa place d’honneur.

— Qu’y a-t-il ? demanda Sun-tsé aux gardes debout derrière lui.

— Sire, répondirent ceux-ci ; c’est le magicien Yu-Ki, un immortel, un homme doué de facultés plus qu’humaines, qui traverse la rue ; vos mandarins sont allés lui rendre leurs hommages.

Le prince se penche sur le balcon et regarde : il voit un homme de haute taille, aux cheveux blancs comme la neige, à la barbe argentée. On dirait un vieillard centenaire, et pourtant son visage a la fraîcheur de l’adolescence. Sa main s’appuie sur un bâton blanc et léger comme la tige du chanvre ; ses vêtemens flottans l’enveloppent sans peser sur lui ; il semble qu’ils le soutiennent comme une nuée, comme le plumage soutient l’oiseau. Tout dénote en lui un de ces docteurs de la secte des Tao-ssé qui savent conserver une éternelle jeunesse en se nourrissant du suc de certains plantes mystérieuses. Il se tient de bout au milieu de la grande rue ; les mandarins civils, les conseillers, les généraux ; l’entourent en se proosternant ; les habitans de la ville brûlent des parfums devant lui. Insensible aux hommages qu’on lui adresse, le vieillard lève les yeux au ciel avec un doux sourire.

— C’est un sorcier ! un magicien ! s’écria le prince ; qu’on le saisisse, qu’on me l’amène !

— Seigneur, répondirent les courtisans, qui commençaient à remonter dans la galerie, ce vieillard est né loin d’ici, dans les contrées orientales, mais il a fait tant de voyages dans cette province, que nous le considérons comme un compatriote. Il passe les nuits dans la méditation ; le jour, il brûle des parfums en l’honneur des esprits et enseigne la doctrine des anciens sages. Avec quelques gouttes d’eau sur lesquelles il a prononcé des formules magiques, il guérit tous les maux ; c’est un fait dont tout votre peuple rend témoignage. Nous voyons en lui l’esprit qui protége ce royaume…

— Folies que tout cela ! interrompit Sun-tsé ; qu’on me l’amène !

— Lui, le divin immortel !… répartirent les courtisans. Si votre altesse daignait recevoir ses conseils, faire soigner par lui les blessures qui guettent en péril sa précieuse existence ?…

— On me désobéit ? s’écria le prince en portant la main sur son cimeterre.

Les gardes effrayés allèrent saisir le vieillard : quand il fut devant lui, le prince le regarda des pieds à la tête, et lui dit avec l’accent du mépris :

— Oses-tu bien, en ma présence, pervertir aussi effrontément le cœur de mon peuple ?