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tout à coup, grace à l’héroïsme de Du Guesclin, servi par la sagesse de Charles V, des éclairs de patriotisme et de vie au sein de ces populations inertes, jusqu’alors étrangères les unes aux autres. Au XVe, la vie populaire s’incarne dans une jeune fille, et la houlette de Jeanne d’Arc brille sur nos champs désolés comme le signe d’une nouvelle alliance. Au XVIe, l’antagonisme des croyances, le dérèglement des mœurs et des ambitions, précipitent le pays dans un abîme de désordre et d’impuissance : l’Espagne semble à la veille de prendre dans le monde le grand rôle que la Providence garde à la France ; mais la puissante monarchie de Charles-Quint a compté sans un petit prince gascon que toutes les vraisemblances écartent du trône, et qui vient dénouer, par la souplesse de son génie et les heureux accidens de sa vie, des difficultés politiques inextricables pour tout autre que pour un protestant converti. Au XVIIe, Richelieu consomme l’ouvrage des siècles, et, du sein d’une cour où l’intrigue semble à la veille de le renverser chaque jour, il règle le sort de l’Europe et lui impose la suzeraineté intellectuelle de sa patrie.

Il était écrit que le siècle de la révolution n’aurait pas une autre destinée que ceux qui l’avaient précédé, et que l’un de ces hommes, jalons lumineux de l’histoire, viendrait, au sein de l’impuissance universelle, lui frayer ses voies en lui donnant son nom. Qu’aux derniers temps du directoire un général s’emparât sur les affaires publiques d’une influence prépondérante en essayant de recommencer Monck ou Cromwell, c’était assurément une chose fort naturelle et même fort attendue ; mais qu’un jeune guerrier, répudiant tous les rôles usés de l’histoire, ait noyé tous les partis qui réclamaient son assistance dans un immense mouvement national roulant autour de sa personne ; qu’en trois mois il ait calmé les haines, rapproché les esprits, éveillé partout des espérances toujours dépassées par les merveilles du lendemain ; qu’il ait transformé la France, créé son administration, relevé son crédit, restauré la morale et retiré la religion des catacombes pour la replacer dans ses temples ; qu’un seul homme ait consommé en moins d’une année, dans la guerre comme dans la paix, des choses qui suffiraient à défrayer un siècle, ce sont là de ces miracles qui déroutent toutes les clairvoyances et défient toutes les prévisions, parce qu’ils sont placés en dehors de l’ordre naturel des faits comme de l’ordre logique des idées. Napoléon Bonaparte est marqué du double sceau imprimé au front des hommes providentiels, car son rôle fut à la fois et très imprévu et très nécessaire. La veille du jour où il le commençait, nul n’aurait pu même le soupçonner ; le lendemain, chacun confessait que son intervention avait pu seule sauver la société française.

Je voudrais mesurer la véritable portée de cette mission en dégageant