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une magnifique inspiration, d’égrener jusqu’au bout ce chapelet de misères qu’on appelle la vie, d’artiste ? Pour, une de ces natures puissantes et fécondes à la Michel-Ange, à la Goethe, à la Rossini, qui semblent avoir pour vocation de produire sans relâche et de se manifester incessamment par de nouveaux chefs-d’œuvre, combien de nobles intelligences, d’imaginations d’élite dont une seule idée fait tout le fonds, et chez lesquelles la production n’est que l’accident ! De l’heure où cette idée prend forme, de l’occasion et du moment, dépend la fortune du maître. Supposez la Vestale survenant dix ou quinze ans plus tard, le mérite de la partition n’en sera que je pense diminué en rien ; seulement bien de avantages disparaîtront qu’elle emprunta aux circonstances, et l’échafaudage plus ou moins ingénieux des arrangeurs de systèmes s’écroulera par la base.

On a beaucoup écrit de tout temps que la Vestale avait opéré une révolution dans la musique et marqué pour ainsi dire l’ère de transition qui sépare le règne de Gluck de l’avènement de Rossini. Sans prétendre le moins du monde disputer à la partition de M. Spontini ce caractère révélateur qu’on lui prête, il convient cependant de se représenter que, dès 1787, Mozart, avait ouvert la voie a tous les développemens de l’orchestre moderne. Emancipation des instrumens à vent, variété des rhythmes, coloration du dessin, aucune des ressources de l’art nouveau ne manquait à cette instrumentation affranchie, qui, refusant désormais de se borner aux simples accompagnemens du chans, aidait, par la richesse et l’originalité de ses modulations, au développement des caractères, aux émouvantes péripéties du drame.

Entre Gluck et Mozart, entre le rationalisme musical de l’auteur d’Armide et le sublime idéalisme du chantre d’Idoménée et de don Juan, qui, de jour en jour, s’emparait davantage de l’Italie et de l’Allemagne, il faisait bon alors, on en conviendra, tenter de l’éclectisme. M. Spontini l’essaya en homme d’esprit, disons mieux, de géni ; à quel point l’entreprise lui réussit, l’histoire des cent représentations de la Vestale en fait foi. Mais, objectera-t-on, si l’influence de Mozart régnait si triomphalement à cette époque même au-delà des frontières de l’Allemagne, comment fa plupart des maîtres de l’école française ont-ils pu à ce point y échapper ? J’avoue que chez Catel, Berton et Lesueur, on n’en surprend pas trace, et la chose s’expliquerait au besoin par cette préoccupation constante du poème, de la situation, qui porte les musiciens d’une certaine école à répudier, comme oiseux, parasite et faisant longueur, tout ce qui n’a point trait à l’effet scénique ; mais, franchement, en peut-on dire autant de Méhul ? et si l’auteur de Joseph et de Stratonice se rapproche de Gluck par la déclamation, le dessin et le mouvement de ses morceaux d’ensemble ne rappellent-ils pas Mozart ? D’ailleurs, M. Spontini était Italien, et, comme tel, admettait plus facilement les transactions dans le style. La mélopée classique de Gluck, unie à la mélodie italienne, et disposant de toutes les ressources de l’orchestre moderne, de cet orchestre entrevu par Haydn, et dont Mozart reste le créateur suprême, tels sont, à mon sens, les élémens mis en œuvre pour la première fois en France dans cette partition de la Vestale ; qui parut aux exécutans.de l’époque d’une complication inextricable. Dieu merci, les temps ont marché depuis, et nous qui avons assisté, à la représentation d’œuvres bien autrement indéchiffrables nous ne pouvons guère comprendre aujourd’hui