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excentriques, en appeler à la curiosité des gens, vous n’obtiendrez jamais que des effets précaires, et qui ne supporteront même pas la comparaison avec ce que les scènes rivales peuvent réaliser dans ce genre. Le Théâtre-Italien de Paris a d’assez beaux fastes derrière lui pour qu’il s’attache à les continuer que si, au contraire, comme il a l’air de le vouloir faire, il se met à courir les aventures, il en subira la peine, et plus tôt peut-être qu’il ne pense, car, pour lui comme pour tant d’autres choses de ce monde, en dehors d’une certaine tradition, il n’y a qu’abaissement et ruine.

Nous ignorons si M. Niedermeyer songeait à l’institut en écrivant la messe exécutée il y a deux ans à Saint-Eustache au bénéfice de l’association des artistes, et qu’on a pu entendre ces jours derniers à Saint-Thomas-d’Aquin ; dans tous les cas, c’est là une œuvre éminente et qu’il faut distinguer dès l’abord de tant de compositions prétendues religieuses qui semblent se multiplier depuis quelque temps avec une incroyable rapidité. On n’en veut qu’à la musique sacrée, et c’est à qui fera revivre Allegri et Palestrina, une sorte de Palestrina et d’Allegri de fantaisie, fredonnant les motifs de l’opéra d’hier, et chantant Kyrie sur l’air du Postillon de Lonjumeau, tout cela pour la plus grande gloire de ce qu’on appelle la mélodie. Ce que le Stabat de Rossini nous a valu d’ingénieux caprices de ce genre ne saurait au juste se calculer. Heureusement cette fièvre déplorable qui change en vrais fléaux de Dieu certaines tentatives du génie, heureusement cette fièvre d’imitation n’atteint pas tout le monde, et, s’il en fallait un exemple, nous citerions au besoin M. Niedermeyer. Esprit trop informé, trop sérieux pour donner dans les travers de la manière dite dramatique ; l’auteur de la messe dont nous parlons a su concilier habilement l’inspiration mélodieuse, avec le style que commande un tel sujet, style grave et magistral, empreint même par momens des formules d’une certaine scolastique, et qui, lourd et pédantesque entre les mains des sots, peut produire sous l’effort d’une puissante intelligence, les immortelles compositions d’un Cherubini. Le morceau capital de la messe qui nous occupe est sans contredit le Gloria. L’andante sur l’Agnus Dei respire une onction suave, et le motif en imitations qui éclate à la fin, motif développé selon toutes les règles de la science, mais point trop compliqué pour une fugue, amène une péroraison splendide, et cette fois vraiment digne de l’exorde. Je ne saurais non plus trop louer le Benedictus : la phrase principale que reprennent successivement et en différens tons les soprani, les contralti, les ténors et les basses, est d’un superbe mouvement et traitée en maître. Telle qu’elle s’est produite à Saint-Thomas-d’Aquin et d’ailleurs fort bien exécutée par l’orchestre et les chanteurs, cette messe a fait sensation, et la renommée de l’auteur de Stradella ne peut que s’en accroître. Quant à nous, qui n’avons point pour habitude de régler notre estime à l’égard d’un homme de talent sur le genre et la dimension de ses ouvrages, ni cette messe, ni Stradella, ne nous ont rien appris sur les facultés musicales de M. Niedermeyer. Il y a de ces inspirations qui valent les plus longs poèmes et les plus beaux. Le Lac est de ce nombre. Je ne sais si Schubert a fait mieux ; mais ce que je puis dire, c’est que pour la première fois en France l’admirable cantate de M. Niedermeyer a réalisé l’hyménée jusque-là chimérique de la musique et des beaux vers.