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Quand vint le tour du prêtre de demander, selon l’usage, à la fiancée si elle acceptait le mari qu’on lui proposait : Homme de bien, dit-elle, vous êtes la première personne qui m’adressiez la question ! Et elle refusa. »

Le parti légitimiste est sûr qu’il faut à la France l’immuable royauté du droit divin ; le parti socialiste est sûr que la France a besoin de punir à perpétuité les descendans des races royales ; l’un et l’autre répondent pour elle, et ne lui permettent pas de se consulter : la France n’a qu’à servir avec eux l’une ou l’autre des deux causes qu’ils servent. Tel est l’esprit d’absolue domination dans lequel ces deux partis se sont encore trouvés réunis pour voter en commun l’exil des princes. La dernière vicissitude de la proposition de M. Creton explique clairement comment ils sont forcés de se rencontrer dans leurs actes même en professant réciproquement pour leurs principes la plus formelle antipathie.

M. le comte de Chambord ne peut rentrer en France sans être le premier des Français, le roi ; ainsi le veut le dogme de la légitimité : donc la France n’aura point à sa disposition d’autres princes qui seraient libres de ne pas lui faire les mêmes conditions, parce que ceux-là savent bien que ce n’est point le pays qui leur appartient, que ce sont eux qui appartiennent au pays : voilà le raisonnement des légitimistes. La république étant la loi préexistante de toute société, c’est un crime inexpiable d’être né sur le trône ; donc on n’en peut descendre, même si on le voulait ; donc on ne peut abdiquer cette funeste grandeur qui reste attachée comme à une proie, ou bien il faut renier misérablement et fouler aux pieds tout son passé : voilà le raisonnement des montagnards. M. Berryer, en l’entendant sortir de la bouche de M. Marc Dufraisse, s’est exaspéré par un de ces beaux mouvemens d’éloquence qui n’empêchent pas l’habileté. Sa soudaine indignation à même eu ce mérite de venir aussi à propos que si elle avait été calculée d’un point de vue stratégique ; mais, à tout bien considérer, est-ce que M. Dufraisse n’argumentait pas dans une voie très pareille à la sienne ? Est-ce qu’ils ne se plaçaient pas l’un aussi bien que l’autre aux extrémités les plus ardues de cette métaphysique politique avec laquelle leurs partis respectifs essaient de s’imposer au bon sens de la France ? M. Berryer décerne à sa royauté la prérogative ineffaçable d’un droit divin. M Dufraisse donne à sa république la perpétuité d’un droit antérieur et supérieur à tous les autres. Il faut s’incliner devant le roi de M. Berryer, parce qu’il est celui qui est ; il faut subir la république de M. Dufraisse, parce qu’elle ne pouvait pas ne pas être. Avions-nous tort de dire que c’étaient là des partis providentiels, puisqu’ils sont ainsi par privilège les organes infaillibles de lois, qui régissent tout souverainement ?

Le pays néanmoins, il ne faut point se le dissimuler, n’a pas de goût pour cette souveraineté des principes abstraits ; il n’aime guère qu’on dispose de lui selon la dure logique de ces superbes théories. Il est un certain sens positif qui ne s’en va jamais tout entier de chez un peuple. Ce sens-là s’interroge. On lui prêche le droit absolu de la république : où donc se demande-t-il, où est dans tout cela le droit de la France ? Quoi ! des formes de gouvernement, ou, si l’on veut, des formes de société subsisteront par je ne sais quelle immortelle vertu, et la société, sans laquelle ces formes ne porteraient sur rien et resteraient vides, la société n’aura point l’autorité