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reçu une commandede Mlle Rachel avaient écrit pour ainsi dire sous sa dictée, c’est qu’ils avaient écrit chaque scène de leur drame ayant sous les yeux Mlle Rachel essayant des costumes, étudiant des attitudes, ou répétant des mots. Nous savions bien que, dans les théâtres où domine quelque mime célèbre, des vaudellistes et des écrivains subalternes écrivaient des pièces où il pût librement déployer les excentricités de son jeu ; mous avions vu des vaudevilles où certaines situations étaient amenées pour déterminer une grimace ou un geste familiers à un bouffon renommé ; mais que des hommes de talent et de style consentent à écrire pour Mlle Rachel une pièce à cette seule fin de lui fournir l’occasions non-seulement de déclamer, mais encore de chanter, voilà ce que nous n’aurions pas cru possible, et ce qui nous semble indigne à la fois des auteurs, du Théâtre Français, et de Mlle Rachel elle même.

Cette faute nous semble plus immorale encore que la réhabilitation de Messaline En réhabilitant Messaline, les auteurs ont péché par ignorance des loi dramatiques, comme nous allons le montrer tout à l’heure, en écrivant une pièce pour fournir à Mlle Rachel l’occasion de chanter, ils ont péché contre la dignité de leur art. Désormais voilà les poètes et les écrivains au service des acteurs, et qui consentent à s’effacer modestement derrière eux ! En vain les auteurs de Valeria s’efforceraient de montrer qu’ils ont voulu écrire une œuvre sérieuse et allégueraient l’étude le travail la correction de langage la versification habile qui sont manifestes dans cette pièce : nous persisterions à dire que leur but n’a pas été de faire une œuvre dramatique pour la présenter au public, mais bien une suite de scènes pour présenter Mlle Rachel à ce même public. Nous disions tout à l’heure qu’une telle aberration était indigne des auteurs, de Mlle Rachel et du Théâtre-Français : Mlle Rachel, en effet, n’a pas besoin, pour déployer son talent, de moyens aussi violens, aussi scabreux, Mlle Rachel n’a pas besoin pour réussir de faire éclat comme un pamphlétaire à ses débuts, et peut réussir, nous le savons depuis long-temps, par des moyens plus simples. Quant au Théâtre-Français, pense-t-il qu’il soit bien digne de lui d’attirer le public, par de semblables moyens ? Ajoutons que l’idée de piquer la curiosité du public en faisant chanter Mlle Rachel est à peu près aussi ingénieuse que celle d’un musicien qui écrirait un opéra pour fournir à Mme Sontag l’occasion de déclamer.

La pièce, malgré ses grands airs dramatiques, ses prétentions, ses emprunts à Juvénal, à Tacite et à Suétone, n’a pas été composée d’ailleurs pour montrer au public parisien le monde antique, les colossales orgies de l’empire romain et ses scélérats grandioses. Toute cette grandeur tragique a été ajoutée après coup à une intrigue sortie d’un feuilleton de journal, si bien que nous avons pour ainsi dire, avec Valeria, un feuilleton du mois dernier affublé d’un travestissement antique. La pièce est donc déjà en quelque sorte l’ œuvre bien plutôt d’un habitué des coulisses et d’un spectateur assidu de répétitions dramatiques que d’un poète véritable. Il s’agissait de mettre sur la scène le honteux imbroglio de l’affaire du collier ; mais comment placer sous les yeux du public les vilains incidens de ce drame judiciaire ? Comment s’y prendre, ne fût-ce qu’en l’indiquant, pour faire comprendre que la reine Marie-Antoinette avait ce malheur de ressembler à une courtisane qui, foulait les pavés boueux de sa capitale ? M. Maquet s’adressa à M.Jules Lacroix, lequel se souvint fort