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administration forte venant en aide à un pouvoir libéral et régulier ; restauration de l’ordre en Europe par une politique se proposant la paix comme but et le strict retour au droit des gens comme moyen ; restauration de la morale publique par un accord éclatant avec le centre de l’unité religieuse, tel fut le triple aspect de l’œuvre qui se résumait dans un seul mot, le droit, en attendant, hélas ! qu’une œuvre nouvelle vînt se résumer dans un autre mot, la force !

Le premier consul ne travailla pas à la pacification générale avec moins d’empressement et d’ardeur qu’à la reconstitution de la société. « Étranger à tout sentiment de vaine gloire, son premier vœu, disait-il en prenant possession du pouvoir, était d’arrêter l’effusion du sang[1] ; » mais ce grand travail d’honnêteté publique trouvait des obstacles, en ce moment invincibles, dans l’incrédulité que rencontrait en Europe un représentant de la révolution française venant parler de justice et de paix. L’Autriche, qui, avec le concours des Russes, avait reconquis l’Italie, eut le malheur de compter sur la fortune et de dédaigner des protestations alors sincères. L’étoile du premier consul voulut donc qu’en demeurant strictement fidèle à sa mission, et pour l’accomplissement même de sa tâche, il pût aller à travers les neiges du Saint-Bernard chercher dans les plaines de la Lombardie cette paix si imprudemment refusée. Il l’apporta à la France toute radieuse de l’éclat d’une victoire dont il avait l’honneur sans la responsabilité. Alors le monde assista à un spectacle d’une grandeur morale incomparable. On vit l’homme qui, après avoir réorganisé la France, se préparait à infuser dans sa législation civile tout ce qu’il y avait de libéral et de pratique dans les idées de son siècle, constituer l’Europe sur les seules bases que comportassent les faits accomplis, les idées modernes et les lois de l’équilibre général. Le traité de Lunéville, malgré les spoliations qu’il consacrait en Allemagne, spoliations dont la responsabilité retombe d’ailleurs sur les gouvernemens allemands plutôt que sur le nôtre, fut assurément la combinaison la plus large et la plus équitable qui ait été réalisée en Europe depuis la paix de Westphalie. S’il consacrait pour la France, maîtresse de la Belgique et de la rive gauche du Rhin, une position formidable, ces avantages, déjà assurés depuis dix ans, venaient d’être confirmés par des succès qui auraient permis aux vainqueurs de Marengo et de Hohenlinden d’aller jusque dans les murs de Vienne imposer à l’Autriche des conditions bien autrement exorbitantes. L’accroissement territorial de la France dans les limites de ce traité était d’ailleurs la conséquence très légitime de l’extension prise depuis un siècle par la Russie en Orient, par la Grande-Bretagne dans les Indes, et surtout par le bouleversement qu’avait apporté le partage

  1. Lettre à l’empereur d’Allemagne, 5 nivôse an VIII.