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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/171

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l’envie de l’interroger et la crainte d’être mal accueilli. À la fin, il prit son grand courage et aborda poliment l’inconnu.

— Votre seigneurie, lui dit-il, accompagne une jeune dame qui paraît aussi vertueuse que belle.

L’Hercule regarda l’abbé en souriant.

— Trop belle et trop vertueuse, répondit-il, pour le repos du monde, et avec cela pétrie de grâce et d’esprit, mais si dédaigneuse que le plus galant homme des deux Calabres en tombe dans le désespoir. Ce galant homme est en face de vous. Si votre projet, seigneur abbé, est de me faire bavarder pour prendre des informations, vous vous adressez mal. Je ne veux plus dire mot sur ce sujet.

— Et vous avez raison, reprit l’abbé. Tout cela ne me regarde point, puisque je ne connais pas cette dame. C’est sans doute un père qu’elle pleure ?

— Non, c’est un mari.

— Si jeune et déjà veuve ! La pauvrette ! Je comprends la cause de ses dédains : elle est inconsolable de la perte d’un époux. Il ne faut pas vous en désespérer. Ces regrets annoncent un bon cœur.

— Des regrets, dit le Calabrais, pour le pauvre Matteo ! elle ne pouvait pas le souffrir.

— Alors elle veut consacrer le reste de sa vie à l’éducation de ses enfans.

— Quels enfans ? Elle n’en a point.

— Le veuvage et la liberté ont leurs douceurs, surtout avec de la fortune, car assurément son mari lui aura laissé du bien.

— Une honnête aisance, dit le Calabrais ; et puis le père de Lidia est ce riche lampiste dont la boutique brille de tant d’éclat, le soir à Tolède, près du palais Borbonico.

— Après le sermon, reprit l’abbé, la signora ferait bien d’aller prier sur la tombe de son mari.

— Nous allons, en effet, la conduire à Capo-di-Monte.

— Et ensuite vous la ramènerez chez elle, dans la rue de…

— À Saint-Jean-Teduccio, hors la ville, où elle a une petite maison de campagne.

— C’est cela. Et puis un repas de famille égaiera la fin de cette triste journée. Faites courage, et ne vous rebutez point, seigneur calabrais. Souvent avec les femmes, l’amour est à deux pas du dédain : vous verrez que la signora n’ira pas de dix-huit à vingt ans sans se remarier. Parmi tant d’adorateurs, quelqu’un lui plaira, et je vous prédis que vous serez distingué par-dessus vos trois rivaux.

— D’abord, répondit le Calabrais avec des regards terribles, Lidia n’a que dix-sept ans. Ensuite j’ai quatre rivaux, et non pas trois, et si l’un d’eux l’emportait sur moi, je le prendrais d’une main par le