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cipe. La belle merveille, si tout s’embrouille aujourd’hui et se change en son contraire, la concorde en discorde, la puissance en impuissance, l’honneur en déshonneur !

« Pleurez, patriotes ! pleurez assez pour que les ruisseaux de vos larmes puissent laver les hontes de la patrie ! Pleurez, mais devenez sages ! »

Soit dit pour en finir, le conseil que voilà serait bon encore ailleurs qu’à Berlin.

ALEXANDRE THOMAS.


À défaut de grands compositeurs pour attirer et charmer le public, les théâtres lyriques font des efforts sérieux pour varier et renouveler leur répertoire. Les Italiens ont repris Linda di Chamouni, un des derniers opéras de Donizetti. Échappé à l’inspiration déjà défaillante de son auteur, Linda est cependant, non pas un de ses meilleurs ouvrages, mais un de ceux où son individualité, le cachet de son talent, les qualités et les défauts qui lui sont propres se retrouvent tout entiers. Mme Sontag chante cette musique tantôt fine et spirituelle, tantôt diffuse et vide, avec une grace, une délicatesse dont on ne peut s’imaginer toutes les nuances. Ce ne sont que gazouillemens d’oiseau, trilles perlés ; à la place d’une mélodie qui manque, une roulade, un trait chanté du bout des lèvres dans un mezzo-voce délicieux, ont bientôt fait l’affaire ; tout cela se passe sans effort, sans fatigue ; il semble que ce gosier d’or ne se soit jamais exercé qu’à ses heures et selon son caprice ; l’organe est plein et suave ; l’étude et le temps ne lui ont rien ôté. À l’inverse des chanteurs de notre triste époque, qui ne savent chanter que lorsqu’ils n’ont plus de voix, Mme Sontag a conservé la sienne aussi pure qu’aux jours de ses plus beaux triomphes. Colini débutait dans le rôle du père de Linda, créé par Tamburini. C’est un chanteur à voix flasque et molle, lent et phraseur, mais sans style. Calzolari a bien dit son air ; sa voix est grêle, elle manque de charme, mais il a des intentions de chanteur, et il faut lui en tenir compte.

L’Opéra-Comique, qui ne commit pas de défaite, surtout les jours de première représentation, a obtenu un nouveau succès avec la Dame de Pique. Ce succès sera-t-il durable ? C’est ce que nous n’oserions dire. Toujours est-il que cet opéra, tiré par M. Scribe d’une nouvelle de Pouchkine publiée ici même par M. Mérimée, ne manque ni d’action ni d’intérêt, et fournissait au musicien de belles situations et un heureux canevas. L’habileté de MM. Scribe n’a pas fait défaut au musicien. Malheureusement M. Halévy a plus chargé la Dame de Pique de chœurs et de masses bruyantes que de fraîches mélodies, si bien que, pendant cette longue représentation, qui n’a pas duré moins de quatre heures, la fatigue survenait plus souvent que l’émotion. Il faut être juste cependant avec M. Halévy : l’ouverture a été fort applaudie et méritait de l’être ; plusieurs morceaux du premier et du second acte ont été aussi remarqués, et l’auraient été davantage, si je compositeur avait su mieux les dégager. Le troisième acte est le meilleur de la pièce, quoique la scène de jeu manque à peu près complètement d’intentions dramatiques et puissantes ; c’est là surtout que le musicien a laissé apercevoir l’insuffisance de son inspiration. Quant à l’exécution de la Dame de Pique, sans être bien remarquable, elle est satisfaisante, surtout de la part d’un jeune ténor, M. Boulo, et de Mme Ugalde ; mais nous reviendrons plus en détail sur le nouvel opéra de M. Halévy.