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rapidement. Pendant que la Hongrie se constituait ainsi en foyer de rébellion armée contre l’empire, la révolution continuait d’agiter l’Autriche elle-même, et l’empereur, retiré en Tyrol, restait tranquille spectateur du démembrement de ses états. C’est alors qu’obéissant à une haute inspiration et bravant les édits de proscription lancés contre lui, le ban Jellachich passa la Drave, et entra en Hongrie à la tête de son armée fidèle. Sa marche victorieuse allait peut-être écraser l’insurrection des Magyars, quand une révolution, plus terrible encore que les précédentes, fit de nouveau triompher l’anarchie à Vienne. Le ban se dirigea aussitôt à marches forcées sur la capitale, et on sait quel fut le résultat de cette énergique manœuvre ; on sait comment le prince Windischgraetz réunissant sous les murs de Vienne son corps d’armée à celui du ban, réussit à rétablir l’autorité impériale dans la cité rebelle.

Tels étaient les événemens qui rendaient la guerre contre la Hongrie inévitable, et que j’ai dû rappeler dans leur succession rapide pour mieux faire comprendre l’importance de la campagne qui allait s’ouvrir contre les Hongrois à la fin de 1848. Au moment de quitter Vienne, le prince Windischgraetz, nommé par l’empereur général en chef de l’armée de Hongrie, avait écrit au maréchal Radetzky pour le prier de lui envoyer quelques officiers d’état-major. J’étais alors en Italie[1], et je reçus l’ordre d’aller rejoindre à Vienne l’armée du prince.

À mon arrivée, j’allai me présenter au prince Windischgraetz. J’avais servi dans son régiment ; c’était un titre à sa bienveillance. Il me reçut avec bonté. Tout en lui, ses manières, son langage, témoigne de cette noblesse de cœur, de cette générosité de caractère qui le porta, lorsque la princesse sa femme eut été tuée pendant la révolte de Prague par un assassin aposté[2], — à faire cesser le bombardement de la ville pour que la destruction de la cité ne semblât point l’effet d’une vengeance particulière. Peu de jours après ma présentation au prince, j’eus le bonheur d’être attaché à l’état-major du ban Jellachich : j’allais donc servir en Hongrie sous l’un des plus chevaleresques généraux de l’armée autrichienne.

J’avais entendu en Italie tous mes compagnons d’armes parler avec enthousiasme du ban Jellachich ; aussi n’est-ce pas sans quelque émotion que je me rendis près de mon nouveau chef. Le ban est de taille moyenne : il a la poitrine haute, les épaules larges, le front haut et découvert, les tempes garnies de cheveux noirs. L’expression de son

  1. Voyez la Guerre d’Italie sous le maréchal Radetzky dans le n° du 15 août 1850.
  2. « C’est ce crime déplorable qui a sauvé la ville, me disait, il y a quelques jours, un bourgeois de Prague en me montrant, des hauteurs de la rive gauche de la Moldau, la cité qui s’étendait à nos pieds. Vous voyez d’ici que, si le prince l’eût voulu, il eût pu réduire la ville en cendres, mais il n’a pas voulu se venger. »