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jours passés à attendre une nouvelle campagne. Les troupes, manquant souvent de vivres, restèrent pendant plusieurs semaines sans abri, sur un sol calciné par la chaleur, n’ayant à boire que l’eau bourbeuse des bords de la Theiss, ou celle des puits dans lesquels pourrissaient des piles de cadavres que les Hongrois y avaient jetés après chaque combat. Le choléra et le typhus[1] emportaient ceux que les balles de l’ennemi n’avaient pas atteints. C’est alors surtout que le ban, entouré de soldats mourans et sans communications avec le reste de l’armée impériale, montra tout ce que peut un grand cœur. Chaque jour assailli, souvent victorieux, il attendit ainsi pendant de longues semaines la nouvelle de la reprise des hostilités et de la marche offensive du général Haynau[2]. C’est alors, c’est avec une armée réduite à sept mille hommes, qu’il alla attaquer quinze mille Hongrois dans les plaines d’Hagyes ; mais je n’ai pas assisté à ces combats, et, pendant que l’armée du ban donnait cet exemple d’héroïque persévérance, je n’étais plus dans ses rangs.


IV

Dix jours après notre arrivée à Eszek, le ban voulut faire descendre aux troupes de son corps le Danube en bateau à vapeur pour les porter rapidement sur Illok, à quinze lieues au-dessous d’Eszek ; mais, ayant appris que les Hongrois avaient élevé des ouvrages en terre à Palanka, sur la rive gauche, et les avaient garnis de canons, il résolut de les faire enlever en débarquant une brigade à Bukin, village sur la rive gauche au-dessus de Palanka, et m’envoya reconnaître les bords du fleuve entre ces deux villages.

  1. Le typhus devint si violent, surtout vers la fin de la campagne, que les infirmiers se refusaient à soigner les malades. C’est alors que le beau-frère du comte de Chambord, l’archiduc Ferdinand d’Este, visitant les hôpitaux la nuit pour s’assurer si les soldats ne manquaient pas des soins nécessaires, fut atteint par la contagion, et périt ainsi que son aide-de-camp et deux officiers qui l’avaient accompagné. Le comte de Chambord, sur la nouvelle du danger que courait l’archiduc, se rendit près de lui et le soigna avec une sollicitude, un empressement qui firent même craindre pour ses jours.
  2. Le général Haynau, nommé par l’empereur général en chef de l’armée lorsque la maladie contraignit le général Welden à déposer le commandement, reprit, comme on sait, l’offensive au commencement de juin 1849. Après de glorieux combats, il refoula tous les corps d’armée hongrois jusqu’auprès de Temeswar, et les força à déposer les armes. C’est alors que ceux des chefs de l’armée insurgée qui avaient été officiers de l’empereur, à qui, désertant nos rangs, avaient trahi leur serment et combattu contre nous, furent mis en jugement. Pendant que beaucoup de journaux étrangers donnaient à ces jugemens l’apparence de vengeances haineuses, les amis, les parens des condamnés reconnaissaient qu’ils avaient mérité la mort ; ils ont été jugés d’après les lois militaires, ils les connaissaient, ils savaient que l’heure de la défaite serait pour eux l’heure du supplice ; ils sont morts courageusement, et la voix d’aucun homme d’honneur ne peut s’élever pour attaquer ces jugemens.