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vingt-huit magnats, cinq cents seigneurs, George Schlick avec ses Bohèmes, restèrent sur le champ de bataille.

Le 9 mai, dans l’après-midi, nous atteignîmes enfin Eszek ; l’aspect de la ville me rappela celui de Mantoue : l’on n’aperçoit d’abord que quelques clochers au milieu d’un vaste marais planté de saules rabougris noyés dans l’eau ; ce n’est que lorsqu’on a traversé ce marais sur une digue d’une grande longueur, que l’on voit enfin la ville, qui semble sortir des eaux.

Le ban arriva à Eszek avec douze mille hommes : il trouva les petits corps de troupes impériales qui gardaient au sud la frontière de la Slavonie et le district des Csajkistes dans une situation presque désespérée. Le colonel Puffer, après avoir lutté contre tout le corps de Perczel, n’avait plus que trois mille hommes réunis autour de Karlowitz ; le général Mayerhoffer, douze cents hommes à Semlin, devant Belgrade. C’était tout ce qui restait du corps de quinze mille hommes que le général Thodorovich avait conduit au mois de mars jusqu’aux environs de Szegedin, lorsque le ban avait proposé au prince de le laisser marcher vers le sud de la Hongrie, pour recommencer la guerre sur une nouvelle base d’opérations ; mais, le prince Windischgraetz ayant alors retenu le ban auprès de lui, et l’armée impériale ayant repassé bientôt après le Danube, puis s’étant retirée jusqu’à la frontière, le général Thodorovich, après de sanglans combats, avait été obligé de reculer jusqu’à Pancsova, sur la rive gauche du Danube, devant les Hongrois, qui s’avançaient à l’ouest et au sud comme la lave envahissante d’un volcan. Le seul colonel Mamula était parvenu à se maintenir dans les positions qu’il occupait depuis le commencement de la guerre : il avait tracé autour de la forteresse de Peterwardein d’immenses travaux de circonvallation, dont la force devait suppléer au petit nombre de ses soldats. Il n’avait que deux mille hommes pour cerner cette forteresse, et toute son énergie, tout son talent était employé à empêcher les Hongrois de forcer ses lignes pour aller ravager la Slavonie et la Croatie.

Les districts militaires étaient épuisés d’hommes ; les maladies, la guerre, les avaient dépeuplés ; les Serbes des comitats du sud, effrayés des massacres des Hongrois, avaient abandonné leurs villages incendiés, et s’étaient réfugiés au-delà du Danube, dans les forêts de la Slavonie. Pendant que, sur le Haut-Danube et au nord de la Hongrie, la guerre se faisait comme entre peuples civilisés, elle n’était ici qu’une guerre d’extermination enflammée par les haines de religion[1] et de nationalité. Les récits de la retraite de Russie peuvent seuls donner une idée de ce que l’armée du ban a souffert pendant ces longs

  1. Les Serbes sont de la religion grecque.