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donné aux démarches de M. Raybaud une autorité qui semblait ne pouvoir être obtenue qu’en présence d’une station de plusieurs bâtimens.

Tout faillit cependant être remis en question. Dans la journée du 21, une véritable émeute militaire éclata dans la cour du palais. Les troupes de la garde, sourdement travaillées, dit-on, par Similien, vociféraient contre l’amnistie et demandaient par compensation le pillage. Le président n’en était plus maître, et le bruit que Similien allait se faire proclamer à sa place pour prix de ce pillage si convoité, l’apparition de quelques hommes à figure affreuse qui commençaient à circuler dans les rues avec des torches de bois résineux à la main, vinrent bientôt porter la panique à son comble. La corvette prit un mouillage plus rapproché, mesure qu’il avait été jugé prudent d’ajourner à la dernière extrémité, et notre consul fit transporter ses archives et son pavillon dans une maison isolée, à l’abri de l’incendie et voisine de la mer. En l’apprenant, Soulouque envoya en toute hâte le commandant de place informer M. Raybaud que des mesures allaient être prises pour rassurer les esprits, et quelques instans après fut publiée une proclamation qui autorisait chacun à tuer, sur le lieu même, quiconque serait surpris pillant ou cherchant à incendier. Le président partit trois jours après pour le sud, laissant la ville sous la tutelle peu rassurante de Bellegarde et de Similien. Les premiers jours se passèrent en transes mortelles, puis l’étonnement succéda à l’épouvante, puis enfin la reconnaissance s’ajouta à l’étonnement. Une semaine entière s’était écoulée sans massacres, sans pillage, sans incendie ! Soit que Similien, privé d’une bonne partie de la garde que Soulouque avait emmenée, n’osât pas risquer la partie, soit par un contrecoup de la sourde rivalité qui existait déjà entre l’ancien favori et le nouveau, Port-au-Prince expérimentait, juste à la même époque que Paris, les bienfaits de l’ordre par le désordre, et l’infâme réaction commençait à relever ce qui lui restait de têtes. Bellegarde, qui huit jours auparavant était la terreur des bourgeois, en était devenu la coqueluche. On lui savait un gré infini du mal qu’il ne faisait pas ou ne laissait pas faire, et le 3 mai une chaleureuse adresse des notables l’en remercia. La France et l’Europe, hélas ! n’étaient-elles pas réduites à choyer aussi des Bellegarde ? Les nouvelles du sud vinrent mêler beaucoup de noir à tout ce rose.

Non content d’hériter du prophète d’Accaau, Soulouque avait voulu hériter de son armée. Avant de quitter Port-au-Prince, et bien qu’il emmenât avec lui trois ou quatre fois plus de forces qu’il ne lui en fallait pour réduire les rebelles, il avait imaginé de faire appel aux piquets. Leurs chefs ostensibles étaient un ancien réclusionnaire nommé Jean Denis, l’un des plus féroces pillards qu’ait produits la patrie de Jeannot et de Biassou, et un certain Pierre Noir, brigand philosophe,