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péché ni par pensée, ni par parole, ni par action, ni par omission contre Soulouque. Celui-ci entendait, en effet, limiter l’amnistie à Port-au-Prince et aux seuls événemens du dimanche. Pour bien constater ses droits à cet égard, il avait, immédiatement après son entrevue avec M. Raybaud, donné l’ordre de juger, c’est-à-dire de condamner à mort l’ancien ministre et sénateur David Troy et plusieurs autres notabilités arrêtées à la même époque que lui. La famille et les amis de M. David Troy conjuraient M. Raybaud d’aller solliciter sa grace ; mais le faible ressort de clémence que celui-ci avait déjà réussi deux fois à mettre en jeu venait d’être si violemment tendu que lui demander coup sur coup un nouvel effort, c’eût été le briser. Gagner du temps, c’était l’unique chance qui s’offrît. M. Raybaud appela donc le supérieur ecclésiastique, et l’engagea à faire entendre au président, auprès duquel il avait un facile accès, que chez les nations chrétiennes, chez les nations civilisées, il n’est pas d’usage de mettre à mort les condamnés pendant la semaine sainte, et surtout le vendredi, jour fixé pour l’exécution. C’était encore toucher la corde sensible : son excellence promit, pour qu’on vit bien, dit-elle, qu’Haïti est une nation civilisée, de ne faire tuer David Troy qu’après Pâques.

L’un des proscrits de la liste d’exception, l’ancien ministre Féry, avait été recueilli par nos marins. Sept autres parvinrent à gagner peu à peu la corvette. Les quatre restans, MM. Preston, ancien président de la chambre des représentans, Banse, sénateur, l’un des caractères les plus honorables du pays, le négociant Margron, bien connu par la haine aveugle qu’il avait affichée jusque-là et en toute occasion contre le nom français, enfin Blackhurst, fondateur et directeur des postes de la république, réussirent, sous divers déguisemens, à pénétrer jusqu’au consulat de France. L’un d’eux avait été suivi, et le consulat, par ordre de Bellegarde, fut cerné, à distance respectueuse d’ailleurs ; mais à la première demande du consul le président le débarrassa de cet appareil au moins importun. Bien que l’hôtel continuât d’être observé de nuit par des forces considérables, les quatre proscrits, grace au dévouement du capitaine Galland, du navire le Triton de Nantes, qui vint les attendre, une nuit, au milieu des vases, purent enfin, à leur tour, gagner la Danaïde. La part de nos marins avait été aussi large que belle dans la mission d’humanité qui venait d’inaugurer, au milieu des Antilles, notre pavillon républicain, — le seul honneur, hélas ! qui lui fût réservé dans cette désastreuse année 1848. Les excellentes dispositions du commandant Jannin, le zèle de ses officiers, l’admirable discipline de son équipage, le dévouement avec lequel il était resté lui-même, pendant soixante-quinze heures, exposé, sur un rivage infect, aux ardeurs d’un soleil dévorant, aux averses tropicales des nuits, en un mot l’attitude constamment imposante, sans être hostile, de tous avait