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le général Céligny Ardouin) ; par ces faits, le conseil… passant outre les conclusions du ministère public (qui avait apparemment abandonné l’accusation), condamne le susdit accusé (Daublas) à la peine de… mort. »

Cet épouvantable impôt sur le sang avait été d’abord presque exclusivement prélevé sur la bourgeoisie de couleur : sénateurs, députés, généraux et officiers supérieurs, magistrats, négocians et grands propriétaires, payaient leur contingent avec résignation, lorsqu’un général de division noir, qui commandait l’arrondissement des Cayes, s’étant apitoyé sur tant de malheurs, fut mis à son tour en jugement, en compagnie de tous les officiers supérieurs de son état-major. Ne trouvant pas ombre de culpabilité à leur charge et croyant pouvoir déroger en faveur d’accusés noirs à cet office de bourreau qu’on lui avait imposé à l’égard des mulâtres, la commission militaire osa les acquitter. Soulouque donna aussitôt ordre de les rejuger et d’en finir cette fois. On obéit : le général et son état-major furent massacrés avec grand appareil sur la principale place de la ville. Peu après, un autre général noir nommé Brice, homme de courage et d’honneur, fut arrêté sur la frontière dominicaine, et conduit avec une partie de son état-major dans la prison de Port-au-Prince. L’exécution de David Troy, qu’on croyait oublié dans cette prison jusqu’au retour du président, vint encore sceller la sanglante fraternité que celui-ci renouait entre les deux couleurs.

Cependant, comme nul murmure suspect ne s’élevait de cette vaste solitude, moitié désert, moitié cimetière, qu’il avait faite dans la presqu’île, — la terreur y comprimait jusqu’aux gémissemens, — Soulouque soupçonna que l’ordre était à peu près rétabli, et il reprit la route de Port-au-Prince (15 août). Il y rentra en traversant avec ses troupes une succession d’arcs-de-triomphe ornés d’enthousiastes légendes sur lesquelles son excellence daignait parfois jeter au passage un regard de connaisseur, en disant : « Ça bon ! » Le bruit courut que « président » avait appris à lire[1], et la bruyante allégresse de « peuple noir » s’en accrut. Ce n’était déjà plus la bienveillance qu’on se doit entre coreligionnaires vaudoux, c’était un mélange de vénération curieuse et d’orgueil qui précipitait à la rencontre de Soulouque transfiguré cette foule avide d’obéissance, et pour qui le respect c’est l’effroi, tout sceptre une hache. On avait craint d’abord quelque scène de massacre, et beaucoup de familles de couleur avaient sollicité un asile dans les consulats ; mais, cédant à l’impression nouvelle que tout subissait

  1. Soulouque, en effet, s’exerce secrètement à lire, et on nous a assuré, mais nous ne nous en faisons pas le garant, — que la lettre moulée est déjà sans mystères pour sa majesté impériale. Elle signe en outre son nom aussi distinctement pour le moins que l’empereur Dessalines.