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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/351

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autour d’eux, les deux ou trois cents coquins qui, pendant deux mois, s’étaient vantés de ne laisser rentrer Soulouque qu’à certaines conditions se dissimulaient maintenant autant que possible. La ville fut illuminée pendant trois soirées, et l’on reconnaissait entre toutes les autres, aux guirlandes de palmes et de feuillages qui y formaient un supplément de décoration, les maisons que la proscription ou le meurtre avait visitées, les maisons des mulâtres.

À la froideur visible qu’il témoignait à Similien, on put croire que le président lui-même était revenu à des idées moins inquiétantes ; mais l’illusion ne fut pas longue. Parmi les innombrables suspects qui, n’ayant pu fuir cette terre de deuil, remplissaient la prison de Port-au-Prince, quatre, — le général de division Desmarêt, qui avait un commandement sur la frontière dominicaine, deux colonels et un magistrat, — venaient d’être condamnés à mort. Quelques personnes osèrent hasarder une démarche auprès du président pour leur obtenir au moins grace de la vie : elles ne réussirent qu’à le mettre dans un état effrayant d’excitation nerveuse. On supplia M. Raybaud de tenter un dernier effort. Soulouque reçut le consul-général avec sa courtoisie et son empressement habituels, mais sans que le sourire contraint qu’il avait préparé pour la circonstance parvînt à se fixer sur ses lèvres agitées par un involontaire tremblement : pour la première fois, depuis trois mois qu’il fauchait jaunes et noirs sans soulever autour de lui d’autres murmures que le bruit des corps humains qui tombent, il se trouvait en présence d’un homme qui oserait penser et dire qu’on ne fait pas couler le sang chrétien comme de l’eau. Dès les premières minutes de cette longue entrevue, Soulouque divaguait de colère. M. Raybaud laissait passer le torrent, puis il remettait en avant les raisons, assurément très nombreuses, que pouvait lui suggérer l’intérêt du pays et du président lui-même. Soulouque, comme vaincu par la lassitude, reprenait alors avec un certain calme son argument favori : que les mulâtres lui ayant proposé une partie et l’ayant perdue, il était « très vil à eux de déranger le consul, au lieu de payer de bonne grace ; » mais peu à peu, l’expression ayant peine à suivre le flot croissant de pensées qui se pressaient en tumulte dans sa tête, les mots sans suite succédaient aux phrases et les monosyllabes aux mots. Au bout d’une fleure ; le consul était moins avancé qu’en entrant : Ma mère sortirait du tombeau et se traînerait à mes pieds, dit à la fin Soulouque, que ses prières ne les sauveraient pas ! — Après le serment « par ma marraine, » c’est là le serment le plus terrible que puisse faire un noir. — Accordez-m’en du moins un seul, reprit M. Raybaud… - La moitié d’un, si vous voulez, répondit Soulouque, et cette fois il parvint tout-à-fait à sourire. Le sauvage avait vaincu, et il célébrait son triomphe à la façon sauvage, moitié rire, moitié fureur. Disons cependant que cette révolte