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Cependant les quatre condamnés de Port-au-Prince ne devaient pas encore périr ; ceci, est de la physiologie nègre. Lors de la première résolution, le commissaire Sonthonax, pour achever de sans-culotiser les nouveaux libres, voulut introduire la guillotine à Port-au-Prince, devenu Port-Républicain. Un blanc nommé Pelou, natif de Rouen, devait faire les frais de la première expérience, et une foule compacte de noirs que Biassou, Lapointe, Augustin Rigaud, Romaine-la-Prophétesse, avaient blasés sur toutes les atrocités humaines, entouraient le lieu de l’exécution ; mais, soit que le vent eût ce jour-là une influence particulière sur le système nerveux africain, soit que l’effet foudroyant de la machine déroutât les notions de ces hommes simples qui n’avaient jamais fait mourir de blancs que petit à petit, la tête ne fut pas plus tôt tombée, qu’un long hurlement de douleur et d’effroi partit des premiers rangs des spectateurs, et se communiqua de proche en proche, à la faveur de cette électricité animale dont le vaudoux nous a déjà fourni l’exemple, jusqu’à la portion de la foule qui n’avait rien vu. En quelques secondes, la guillotine fut mise en pièces, et on ne l’a jamais relevée en Haïti. À plus de cinquante ans de distance, c’est une scène analogue que Port-au-Prince allait voir. Soulouque avait ordonné que le supplice eût lieu à Las-Cahobas, village de la frontière dominicaine éloigné de deux journées. Les quatre condamnés s’acheminèrent enchaînés, sous la garde de cent cinquante hommes de police et d’un régiment entier d’infanterie, vers cette destination ; mais, pendant qu’ils traversaient la ville, leur attitude triste et résignée excita parmi les femmes un tel mouvement de sympathie, une telle tempête de pleurs et de cris, que l’effet en devint contagieux même pour les noirs. Malgré les efforts des soldats, tout le monde se précipita vers les condamnés pour les embrasser et leur serrer la main. Les soldats et les officiers finirent par n’y pas tenir, et bientôt ce fut dans les rangs même de l’escorte qu’éclatèrent les plus violens murmures contre tant de cruauté. Le funèbre cortége sortit cependant de la ville et marcha durant quatre heures vers Las-Cahobas ; mais, soit qu’il eût eu lui-même les nerfs ébranlés par cette scène, soit que devant l’universelle réprobation qui l’assaillait à l’improviste il voulût se donner le temps de réfléchir, le président envoya l’ordre de ramener les condamnés dans la prison.

À la nuit tombante, ils traversèrent donc de nouveau la ville, précédés, entourés, suivis d’une foule compacte de gens de toutes couleurs, qui criaient, ivres de joie, vive le président ! On put remarquer que les noirs des quartiers du Morne-à-Tuf et du Bel-Air, c’est-à-dire les plus exaltés et les plus hostiles aux mulâtres, criaient, riaient, pleuraient plus fort que les autres, et la ville ayant été spontanément illuminée, ce furent ces quartiers qui offrirent l’illumination la plus splendide.