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aux dames. Refuser serait une impolitesse que la femme la plus à la mode n’oserait se permettre. J’ai vu même, à la fin de la soirée, un monsieur d’une amabilité fort échauffée présenter à une jeune femme sa tabatière, et la dame le remercier, prendre avec ses jolis doigts roses une pincée de ce vilain tabac, et la jeter ensuite quand le monsieur s’est retourné pour aller promener ailleurs sa tabatière et son champagne. Il résulte de cette coutume que, pour peu qu’une femme soit à la mode, elle est obligée de se bourrer de gâteaux, de glaces et de liqueurs ; elle a beau dire qu’elle n’en peut mais et demander grâce, les galans importuns la forcent à goûter le vin ou les sucreries qu’ils lui présentent.

Les quadrilles, importation toute récente, sont essayés chaque fois qu’il se rencontre quelqu’un en état de les diriger. Nous en dansâmes un sur je ne sais quel air ; c’était à peu près nouveau, par conséquent fort goûté. Le menuet est à la mode, et l’on s’étonna que je ne le susse pas danser. Il m’a fallu jurer que je ne l’avais jamais vu danser, si ce n’est à l’Opéra, dans quelque ballet poudré. Alors sont venues les danses d’Aréquipa : le london, le fandango, le mismis, etc., ravissans boleros avec accompagnement de castagnettes, le london principalement. Quel dommage que pour notre froid et monotone quadrille les Péruviens abandonnent peu à peu leurs jolies danses nationales !

Dans une pièce voisine étaient nombre de femmes plus que simplement vêtues et la tête recouverte d’un châle. Je croyais que c’étaient des femmes de chambre de la maison ou des maisons voisines ; mais on m’apprit que c’étaient les mères des danseuses et autres dames souffrantes ou paresseuses qui voulaient voir le bal, et pourtant ne pas se mettre en frais de toilette. C’est un usage généralement reçu dans l’Amérique espagnole, et dans un bal il y a souvent autant de tapadas (c’est le nom des dames qui gardent l’incognito) que de danseuses. Un autre usage plus extraordinaire, mais également reçu partout, c’est de laisser ouvertes les portes de la maison où se donne la soirée. Permis à tout blanc qui passe de se coller à la porte de la salle de bal ; les derniers arrivés poussent les autres, et ils finissent généralement par envahir, à droite et à gauche de la porte, une bonne partie de l’appartement. Au temps des vice-rois, tout Espagnol, à titre de blanc et de hidalgo, se croyait l’égal du plus riche négociant et du plus puissant seigneur du pays ; c’est de ce principe, admis par l’opinion publique, qu’est venu l’usage dont je parle, et une infinité d’autres d’un grand laisser-aller.

Le bal fini, chacun s’en retourne à pied. Les ruisseaux profonds qui traversent les rues ne permettent pas dans la ville l’usage des voitures. Les distances sont courtes, les rues propres, le temps toujours sec ; aussi ne se sert-on pas de chaises à porteurs, Pour sortir de la ville et