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village perché, comme un nid de pie, sur le sommet de la colline que nous gravissions. Une maison assez grande, de triste apparence et tombant en ruines, s’offrit à nous ; nous y pénétrâmes au pas de charge ; elle était déserte. Auprès du foyer seulement, où fumaient les débris du plus triste feu du monde, un enfant était couché ou plutôt ficelé, selon l’usage du pays, dans son berceau. À l’aide d’une forte lisière, on l’avait emmaillotté comme une momie et dûment scellé aux parois de la petite caisse qui lui servait de lit. Du reste, sa tête était soigneusement tournée vers le feu, de façon à ce que son crâne fut toujours en ébullition ; c’est l’hygiène locale. À la vue de nos figures étrangères, le marmot, qui nous avait un instant contemplés avec ses grands yeux d’émail, se prit bientôt à pousser des cris lamentables. J’agitai son berceau avec la plus paternelle sollicitude sans parvenir à le calmer. Ses plaintes, au contraire, devinrent bientôt tout-à-fait déchirantes ; nous eussions voulu l’étrangler ; qu’il n’eût pas fait plus de tapage. À son appel, une femme entra brusquement dans la maison, et nous considéra d’un air effaré. Il fallut expliquer que nous n’étions pas des croquemitaines, et ce fut assez difficile. La jeune mère nous tenait évidemment pour suspects. Ce n’était cependant pas une simple paysanne ; du moins elle portait, au lieu du petit chapeau de paille bordé de velours noir, qui est la coiffure ordinaire des femmes du pays, un bonnet, ce qui est en Limousin un indice certain de prétentions à la bourgeoisie. En outre, sa robe de deuil, si peu élégante qu’elle fût, avait été taillée à la ville. J’avais remarqué ces choses en un clin d’œil, pendant qu’un de mes compagnons donnait sur nos intentions pacifiques les explications nécessaires. Notre hôtesse feignit de se calmer. Elle éloigna le berceau, jeta dans le feu quelques sarmens pour le raviver, nous invita à nous sécher à sa flamme, et s’assit elle-même d’un air froid et contraint, où je devinai tout à la fois beaucoup d’embarras et une certaine dignité. Jamais je n’avais vu une paysanne limousine oser s’asseoir devant des messieurs, et je venais de faire une autre découverte qui m’intriguait un peu. Le feu, en se rallumant, avait éclairé la plaque du foyer ; elle était en fonte et présentait un grand écusson armorié. Ce luxe m’étonna ; je regardai de nouveau la cuisine enfumée où nous étions : elle était misérable. Le plafond tombait par lambeaux ; le pavé, disjoint et usé, renfermait trois ou quatre mares boueuses, rarement balayées, dont l’humidité était constamment entretenue par l’écoulement continuel d’une douzaine de fromages suspendus dans un long panier d’osier. Deux lits, une grande table et quelques chaises dépareillées composaient le mobilier de cette pièce où régnait une odeur aigre et nauséabonde qui semblait attirer une grosse truie dont le groin venait à tout moment entre-bâiller la porte d’entrée. D’où provenait donc cette plaque de fonte ? J’examinai