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plus attentivement la jeune femme, et je trouvai à son visage pâle une certaine distinction ; puis je lui demandai où nous étions.

— Monsieur se moque de moi, sans doute, répondit-elle assez vivement. Je l’assurai que je n’avais garde de me moquer d’elle et que j’ignorais le nom du village.

— Ce n’est pas un village, monsieur, reprit-elle, c’est un bourg ; vous êtes au Puy d’Arnac, canton de Beaulieu.

Un Marseillais ne vous aurait pas nommé la Canebière avec plus de satisfaction. Je savais que le Puy d’Arnac donnait son nom à un cru renommé de la Corrèze, et je crus comprendre l’accent orgueilleux de la réponse. Tout à coup un de mes compagnons, que nous appelions le brocanteur, parce qu’il furetait en tous lieux et cherchait avec une amusante persévérance des objets d’art, de curiosité, jusque dans les chaumières, me toucha le coude, et me demanda si j’avais vu le tableau qui était à demi caché sous les rideaux de serge d’un des lits. Je ne l’avais pas encore aperçu, et je m’en approchai. C’était le portrait d’un officier-général sous Louis XV. Il me parut assez bon, sans trop différer pourtant de l’inépuisable famille des portraits poudrés qui ont le privilège de tapisser depuis cent ans, en se renouvelant sans cesse, la salle des commissaires-priseurs. Le cadre, sculpté et doré, me frappa davantage ; il était beau. — C’est une trouvaille, me dit mon ami. Je demandai à la jeune femme d’où venait ce portrait.

— D’où il vient ! me répondit-elle avec hauteur ; c’est le portrait de mon grand-père, monsieur.

— Ah !… nous écriâmes-nous tous les quatre en nous retournant avec surprise. D’une main, notre hôtesse tisonnait avec une indifférence évidemment simulée, et de l’autre elle agitait la petite boîte où dormait son enfant.

— Oserai-je vous demander le nom de monsieur votre grand-père ? dis-je en me rapprochant.

C’était le comte d’Anteroches, répondit-elle.

— Comment ! le comte d’Anteroches, qui commandait les gardes françaises à Fontenoy ?

— Vous en avez entendu parler ? reprit en souriant la paysanne.

Mon ami le brocanteur était resté stupéfait devant le tableau. Tout à coup il se retourna, et, ôtant gravement sa casquette, il répéta d’un air théâtral les paroles célèbres de M. d’Anteroches

« Messieurs les Anglais, tirez les premiers. Nous sommes Français, nous vous faisons les honneurs ! »

Ce mot est, je pense, le plus charmant, le mieux frappé à l’image de son siècle, dont il soit fait mention dans l’histoire. À l’égard de ces mots célèbres jetés dans les combats, je suis, je l’avoue, fort sceptique. Si peu militaire que je sois, j’imagine qu’il n’en va pas dans les