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batailles comme au Cirque Olympique, et qu’au milieu, du feu, de la fumée, de la mitraille, les généraux ont autre chose à faire qu’à dire de jolis mots, que nul sténographe d’ailleurs ne songerait à recueillir. Je sais que Cambronne se fâchait quand on lui rappelait son cri superbe à Waterloo : « La garde meurt et ne se rend pas ! »,cri d’autant plus bête, disait-il, que je ne suis pas mort et que je me suis rendu. J’ai même découvert que ce mot a été inventé par un membre de l’Institut pour la plus grande satisfaction des lecteurs du Nain jaune, où il écrivait, en 1815, avec Benjamin Constant et beaucoup d’autres mécontens célèbres. Les allocutions de Léonidas ne me trouvent pas plus crédule ; mais, d’où qu’ils viennent, j’adore ces mots, qui résument toute une époque, qui la gravent en un seul trait dans la mémoire… On peut défier l’historien qui voudrait raconter la fin du dernier siècle et la première moitié de celui-ci de trouver deux épigraphes, plus frappantes que les paroles attribuées à d’Anteroches et à Cambronne, à deux officiers français, l’un commandant les gardes françaises, L’autre la vieille garde, tous les deux combattant pour leur pays, à soixante dix ans d’intervalle, les mêmes ennemis et sur le même terrain ; car, rapprochement bizarre, Fontenoy et Waterloo sont peu éloignés : le ciel a voulu, que l’on jouât dans les mêmes champs la partie et la revanche, « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » n’est-ce pas Ie mot de cette noblesse insouciante et adorable, ironique et blasée, qui poussa jusqu’à la folie le mépris de la vie et le culte de la courtoisie et de l’honneur jusqu’au sublime, qui dota son pays d’un tel renom d’élégance, de bonne grace et de vaillance, que les saturnales démagogiques n’ont pas pu et ne pourront jamais l’effacer ; noblesse insensée si l’on veut, mais charmante à coup sûr et bien française, qui traversa gaiement la vie sans jamais faire au lendemain l’honneur de songer à lui, et qui, voyant un jour le terrain manquer sous ses pieds, regarda l’abîme sans sourciller, sans s’étonner, sans se démentir, et mourut « toute vivante, » tout entière, dédaignant de se défendre. et sans peur, sinon sans reproche.

Entre le mot de d’Anteroches de celui de Cambronne il y a bien loin, on sent que la révolution a passé par là. Le gentilhomme raffiné jusqu’à l’exagération a disparu, et c’est déjà le rude langage de la démocratie. « La garde meurt et ne se rend pas ! » voilà sans nul doute de l’héroïsme, mais de l’héroïsme d’un autre genre. Jamais le chauvinisme, de ce temps-ci ne trouvera une devise plus cornélienne ; mais n’y sentez-vous pas l’affectation théâtrale, l’emphase mélodramatique d’une race nouvelle ? Qu’il n’avait pas peur de la mort et ne songeait pas à se rendre, le gentilhomme de Fontenoy ne pensait pas à le dire, on devait le savoir ; ses pareils l’avaient prouvé depuis des siècles. Etre brave, ce n’était rien pour lui, il fallait être élégant au combat comme