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honneur, tout cela ressemble fort au sentiment qui anime les pèlerins de Roc-Amadour. C’est à peine si j’ose en dire plus long, et je craindrais d’encourir de graves reproches, si je racontais, même très légèrement, les scènes bien connues dans le Midi, auxquelles, s’il faut en croire les mauvaises langues, donne lieu ce pèlerinage. Que l’on se figure des milliers de pèlerins de tout âge, de toute condition, entassés une semaine durant, sans aucune distinction de sexe, dans les cinquante maisons du village. Chaque chambre doit suffire à trente personnes au moins : éteignez les lumières, pensez à la fougue méridionale, au laisser-aller des provinces, aux incidens sans nombre qui peuvent surgir en pareille situation, à la gaieté qui peut éclater tout à coup dans ce phalanstère, et vous comprendrez que les mauvais plaisans racontent à cet égard des scènes à faire pâmer d’aise l’ombre de Pigault-Lebrun. Le jour, dans tous les cas, on fait pénitence, et quelle pénitence ! Saint Simon Stylite, en restant debout, un pied en l’air, sur un fût de colonne, s’infligeait un bien moins cruel martyre. Il s’agit de monter sur les genoux les deux cent trente-sept marches de l’escalier de pierre le plus dangereux et le plus raide qui soit sous le soleil. Imaginez une échelle de granit dressée presque verticalement contre les tours de Saint-Sulpice, de chaque côté, un précipice effroyable qui donne un continuel vertige, sous les genoux enfin des angles de pierre qui déchirent ; devant le désordre étrange des patientes qu’il faut suivre ; derrière, les soupirs de celles qui poussent et hâtent leurs devancières : n’est-ce pas une procession singulière ? Il va sans dire que les belles dévotes accomplissent ce périlleux et difficile exercice sous les regards railleurs d’une quantité de garnemens qui ne se font faute d’observations malséantes et de réflexions peu orthodoxes. Ce mélange de religion et d’impiété, de paganisme et de foi naïve, de superstition et de gravelure, ne rappelle-t-il pas l’Espagne et l’Italie ? Ces transactions bizarres dont la dévotion méridionale s’accommode, cet attrait plus que mondain qui se mêle à la piété, n’ont-ils aucune parenté avec ces madones bénévoles dont une main amoureuse voile par momens la sainte image ? Cette étourdissante anarchie se voit partout à Roc-Amadour ; nul ne s’en étonne, c’est chose acceptée ; l’intention excuse le fait, et l’on efface par la sainteté du but les peccadilles de la route. À tous les reposoirs de cette fatigante procession, des boutiques se trouvent où les pèlerins font emplette d’objets de piété. Au milieu des missels, des rosaires, des crucifix, on rencontre les médailles les plus profanes et les bagues les moins édifiantes. Sans être précisément collet monté, je n’oserais pas transcrire ici une seule des devises qui entourent ces anneaux de crins. La politique elle-même a place en cette confusion. Parmi les saints dont j’achetai le profil, un me frappa. Il portait le fez africain et l’habit militaire : c’était le général Cavaignac. On sait que