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mais laissés par une dernière transaction à la disposition du président. Parmi ces derniers était le général Céligny Ardouin.

Quand il apprit ce résultat, le président, au comble de la fureur, lacéra les minutes du jugement, en s’écriant qu’on avait justement condamné à la peine capitale ceux dont la mort lui était indifférente. Les juges, éperdus de terreur, s’excusèrent sur la timidité du témoin, qui fut jeté dans un cul-de-basse-fosse. Bien que les trois condamnés à mort se fussent pourvus en révision, la sentence collective fut cassée, et les dix accusés renvoyés devant un nouveau conseil de guerre siégeant à la Croix-des-Bouquets, à trois lieues de Port-au-Prince.

Mais Soulouque avait compté pour le jour même sur une large exécution. Il se souvint à ce propos qu’il avait sous la main quatre malheureux condamnés à mort depuis plus d’un an, et, la grande pièce manquant, c’était là pour son avide impatience de meurtre un en-cas très présentable. Ces malheureux étaient le général Desmarêt et ses trois compagnons, les mêmes qui, en 1848, à l’issue de l’expédition du sud, avaient été épargnés à la demande de la population entière[1]. On les exécuta immédiatement, ou plutôt, ce fut moins une exécution qu’un massacre, car aucun d’eux ne fut tué au premier feu. C’est encore là un des procédés de la justice distributive de Soulouque. Les suspects avec circonstances atténuantes sont fusillés comme on fusille partout, tandis que les autres, ceux qui sont spécialement recommandés, se sentent mourir. Soit que Soulouque fût plus effrayant vaincu que vainqueur, soit que la question de sorcellerie qui se trouvait mêlée à l’affaire eût mis cette fois du côté du bourreau toutes les sympathies vaudoux de la ville, la population ne murmura même pas contre cette lâche et cruelle rétractation des quatre graces qu’elle avait obtenues. L’exécution se passa sans autre incident que l’apparition du chef de l’état, qui, au milieu d’un nombreux état-major précédé de la musique, vint regarder les suppliciés et compter les marques rouges de cette cible humaine. Quant au général Céligny Ardouin et à ses neuf co-accusés, ils furent conduits à pied et enchaînés à la Croix-des-Bouquets. Le chemin avait été rendu tellement impraticable par les pluies de la saison, qu’ils mirent sept heures à franchir cette distance de trois lieues, bien que l’escorte les forçât d’avancer à coups de bâton. Mlle Céligny Ardouin avait voulu suivre son père.

Le consul-général de France, auquel se joignit le vice-consul gérant pour le moment le consulat britannique, voulut tenter une démarche suprême en faveur du malheureux général. La scène habituelle se passa ; l’excès d’épuisement entrecoupait seul de temps à autre de courts silences les divagations furieuses de Soulouque, divagations

  1. Voyez la dernière livraison.