qui avaient cette fois pour invariable refrain : « Il me faut son sang ! — Mais, lui disait M. Raybaud, attendez du moins pour parler ainsi qu’il soit définitivement condamné, et, s’il l’est, il aura encore la faculté de se pourvoir en révision. — Non ! non ! répondait Soulouque, ça n’en finirait pas… Puisque je vous dis qu’il me faut son sang !… Il sera fusillé tout de suite, et comme un chien ! — Ayez au moins pitié de sa femme et de ses malheureux enfans ! — Je m’en… qu’ils crèvent tous ! tous !… » Le vice-consul anglais lui dit en désespoir de cause : « Mettez-le dans un de vos terribles cachots du môle Saint-Nicolas, mais laissez-lui du moins la vie ! — Je m’en garderais bien ! Il entrera dans le cachot d’où personne ne sort !… »
Condamné à mort à deux heures du matin, le malheureux général était exécuté à neuf heures, malgré son recours en révision. Il mourut, comme tous les autres, avec un sang-froid admirable, et cependant lui aussi se sentit mourir ; il était particulièrement recommandé. L’arrestation de quelques autres personnes considérables, entre autres le général Bottex, riche mulâtre du Cap. combla immédiatement les vides que la triple spéculation de frère Joseph venait de faire dans les cachots.
Soulouque projetait de se faire proclamer empereur, au retour de la conquête de l’est, dans l’église des Gonaïves, où avait été proclamé Dessalines, et, l’est n’ayant pas voulu se laisser conquérir, cette idée carnavalesque semblait indéfiniment écartée ; mais la nouvelle et éclatante victoire que le président venait de remporter sur les intrigues de sorcellerie l’avait subitement rendu au sentiment de sa prédestination, et il se laissa faire une douce violence par la demi-douzaine de drôles qui l’obsédaient de cette idée depuis la fin de 1847.
Le 21 août 1849, on commença à colporter à Port-au-Prince, de maison en maison, de boutique en boutique, une pétition aux chambres par laquelle le peuple haïtien, jaloux de conserver intacts les principes sacrés de sa liberté,… appréciant les bienfaits inexprimables dont son excellence le président Faustin Soulouque avait doté le pays,… reconnaissant les efforts incessans et héroïques dont il avait fait preuve pour consolider les institutions, lui conférait sans plus de façons le titre d’empereur d’Haïti. Personne, bien entendu, ne poussait le mépris de la vie assez loin pour refuser sa signature. Le 25, la pétition était portée à la chambre des représentans, qui s’associait, avec le double empressement de l’enthousiasme et de la terreur, au voeu du peuple, et le lendemain le sénat sanctionnait la décision de la chambre des représentans.
Le même jour, les sénateurs, à cheval, se rendirent en corps au palais. Le président du sénat portait à la main une couronne de carton doré, fabriquée pendant la nuit. Il la posa avec la précaution voulue sur l’auguste chef de Soulouque, dont le visage s’épanouit à ce contact