Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/547

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

si désiré. Le président du sénat attacha ensuite à la poitrine de l’empereur une large décoration d’origine inconnue, passa une chaîne au cou de l’impératrice, et débita son discours, auquel sa majesté Faustin répondit avec ame : — Vive la liberté ! vive l’égalité ! L’empereur et son cortège se rendirent ensuite à l’église, au son de la plus terrible musique qu’on puisse imaginer, mais qui se perdait heureusement dans le frénétique crescendo des vivat et dans le bruit assourdissant des salves d’artillerie, lesquelles durèrent presque sans interruption toute la journée. Au sortir de l’église, sa majesté parcourut la ville, et je laisse à penser la profusion de guirlandes, d’arcs-de-triomphe, de tentures et de devises. Au bout de huit jours, les illuminations par ordre duraient encore, et la police surveillait d’un œil soupçonneux la fraîcheur des feuillages dont chaque maison (notamment les maisons des mulâtres) continuait, toujours par ordre, d’être décorée.

Cependant Faustin Ier, enfermé dans son cabinet, passait des heures entières en contemplation devant une série de gravures représentant les cérémonies du sacre de Napoléon. N’y tenant plus, sa majesté impériale appela un matin le principal négociant de Port-au-Prince, et lui commanda de faire venir immédiatement de Paris un costume en tous points semblable à celui qu’il admirait dans ces gravures. Faustin Ier commanda en outre une couronne pour lui, une pour l’impératrice, un sceptre, un globe, une main de justice, un trône et autres accessoires, toujours à l’instar du sacre de Napoléon. Les finances de l’empire ne s’en relèveront de long-temps, car tous ces objets sont déjà livrés et payés, et les lenteurs qu’a éprouvées, faute de maçons et de charpentiers, la construction de la salle du trône, ont seules retardé la cérémonie du couronnement, qui a eu lieu enfin tout récemment, le jour de Noël.

Pendant que sa majesté débattait le prix de son trône, de son sceptre, de son manteau semé d’abeilles d’or et tout ce qui s’ensuit, les départemens, avertis par la rumeur publique (car il n’avait même pas été question de les consulter) qu’ils avaient un empereur, les départemens se hâtaient d’envoyer adhésions sur adhésions. Je n’ai pas besoin de dire que les signatures les plus voyantes, les paraphes les plus excentriques appartenaient aux suspects tant jaunes que noirs. Cette graduation de l’universel enthousiasme se reproduisait sous toutes les formes : ainsi, les localités bien notées se contentaient de tirer, en l’honneur de Faustin Ier, vingt et un coups de canon, tandis que les localités mal notées allaient jusqu’à deux cent vingt-cinq. Le parti ultra noir l’emportait cependant quant à la pompe des formules. Les mots sire ou empereur lui paraissant trop faibles, il les remplaçait par magnanime héros, ou illustre souverain, ou illustre grand souverain. Dans les prônes que débitaient pour la circonstance les aventuriers déguisés