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barons, qui, dans un milieu vraisemblable, mériteraient réellement d’être distingués, et qui se sentent fort mal à l’aise entre leurs terribles pairs.

Le high-life haïtien ne laisse pas que d’être fort accessible. Les princesses et les duchesses continuent de débiter qui du tafia, qui du tabac et des chandelles, qui du poisson ou autres comestibles, ni plus ni moins que sa majesté l’impératrice avant l’élévation de son époux. Sans ces utiles industries, les ducs, avec leurs quatre-vingts francs par mois, ne pourraient guère soutenir la grandeur de leur rang. Beaucoup sont même écrasés sous le fardeau, et ne dédaignent pas de rendre de temps en temps visite aux simples bourgeois, pour leur emprunter quelques gourdes destinées à acheter ou des souliers, ou un pantalon, ou autres menus accessoires de toute toilette aristocratique. Ils demandent de temps en temps une augmentation, mais sa majesté est sans entrailles pour ces illustres infortunes.

Non content d’avoir une noblesse, Faustin Ier a créé un ordre impérial et militaire de Saint-Faustin, avec chevaliers, commandeurs et tout ce qui s’ensuit, plus un ordre impérial et civil de la légion d’honneur. Le ruban de la légion d’honneur devait être originairement rouge ; par une attention dont nous devons savoir gré à sa majesté, on a renoncé à cette couleur, ce que j’ai le regret d’annoncer aux nombreux démocrates français qui, alléchés par la similitude du nom, ont sollicité de Faustin Ier, à titre de négrophiles (quelques-uns même avec offre d’argent), ce vain hochet, qui n’est plus que bleu. Ici encore je n’invente rien. Les demandes de cette nature ont été tellement nombreuses, que Soulouque, finissant par concevoir lui-même une haute idée de ses deux ordres de chevalerie, a émis le regret de les avoir trop prodigués lors de la création. Tout le monde est en effet membre de ces deux ordres, à partir du rang de capitaine inclusivement.

L’organisation de la maison de l’empereur et de celle de l’impératrice est la même que sous Christophe, qui avait lui-même fondu ensemble le cérémonial de la cour de Louis XIV et celui de la cour d’Angleterre. Seulement, Soulouque a infiniment plus de gouverneurs de châteaux, de chambellans, de maîtres des cérémonies, de veneurs, d’intendans, etc., que n’en avaient Christophe, et même, je crois, Louis XIV. La tradition des salons de Toussaint et de Christophe est à peu près perdue à Haïti, de sorte que les solécismes d’étiquette sont assez fréquens dans la nouvelle cour ; Soulouque n’en est pas lui-même exempt, bien qu’il commence à se former. On fait ce qu’on peut. En attendant, voilà un empereur, et il ne nous reste qu’à voir ce qu’on peut tirer de cet empereur et de cet empire.


GUSTAVE D’ALAUX.