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se souvient des millénaires, et, toujours prudente dans son enthousiasme, elle ne se passionne que pour les notions éternelles de la liberté, de la justice et du bien.

On objectera peut-être que cet enseignement salutaire ne se trouve que par exception, dans ces livres rares et marqués du sceau du génie qui retracent les annales des grands peuples, et les éclairent comme la colonne de feu qui guidait les Juifs dans le désert. — Nous répondrons que dans le passé l’enseignement est partout, principalement dans notre France, parce que la vie politique a été de très bonne heure développée sur tous les points avec une puissance singulière, et que les villes du moyen-âge étaient en réalité, sur une échelle plus ou moins vaste, de véritables états. M. Augustin Thierry l’a dit expressément avec l’autorité des maîtres : « L’histoire municipale du moyen-âge peut donner de grandes leçons au temps présent ; dans chaque ville importante, une série de mutations et de réformes s’est opérée depuis le XIIe siècle ; chacune a modifié, renouvelé, perdu, recouvré, défendu sa constitution. Il y a là en petit, sous une foule d’aspects divers, des exemples de ce qui nous arrive en grand depuis un demi-siècle, de ce qui nous arrivera dans la carrière où nous sommes tombés désormais. Toutes les traditions de notre régime administratif sont nées dans les villes ; elles y ont existé long-temps avant de passer dans l’état. Les grandes villes, soit du midi, soit du nord, ont connu ce que c’est que travaux publics, soin des subsistances, répartition des impôts, rentes constituées, dette inscrite, comptabilité régulière, bien des siècles avant que le pouvoir eût la moindre expérience de tout cela. » Ouvrons l’Histoire des villes de France, et la vérité de cette remarque sera confirmée à chaque page, car tout ce qui se rapporte à ce que l’on pourrait appeler notre ancienne organisation sociale y est traité avec soin, et chaque chose s’y montre avec son caractère propre. Ici c’est la féodalité qui domine, et la vie de la cité elle-même est attachée à celle d’une grande famille dont elle porte le nom, comme Rohan, Guémenée, Chateaubriand, Vendôme, Joinville, Foix, Laval ; là, c’est l’église qui fait naître la ville, qui la protège et qui la baptise, en la nommant, comme à Clairvaux ou à Saint-Riquier, du nom de quelque abbaye célèbre ; mais tout ce qui procède ainsi de l’église ou de la féodalité grandit et s’abaisse en même temps que la noblesse et le clergé, et dans ce groupe nous ne connaissons guère que Sedan qui ait échappé, soit à la décadence, soit à l’immobilité, en échangeant ses vieux parchemins contre une patente industrielle. Aujourd’hui même c’est encore dans les villes d’origine gallo-romaine, et dans celles où le régime municipal a été le plus fortement développé au moyen-âge, que se trouvent les élémens les plus vivaces de prospérité, et c’est là aussi que les sentimens politiques se montrent avec le plus d’ardeur. Dans le passé comme dans le présent, certaines localités se détachent au milieu du panorama général, ainsi que certains individus au milieu de la foule, par une physionomie toute particulière et fortement accentuée. Dans le passé, Alby et Lyon sont comme le foyer des hérésies sociales et religieuses ; c’est là que le communisme arbore pour la première fois sa bannière en France ; c’est là que le manichéisme, toujours vivant et toujours vaincu dans la barbarie du moyen-âge, essaie de relever ses autels. Lectoure est la citadelle et le tombeau des Armagnacs, Bayeux le dernier refuge de la nationalité scandinave au milieu de la Neustrie, devenue un fief anglo-normand ; Saint-Malo, le nid des corsaires,