Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/563

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’appelle déjà, au temps des croisades, le pays des troupes légères de la mer ; Lille, la cité vaillante et fière entre les plus fières, se défend toujours seule et par les bras de ses enfans contre tous ceux qui l’attaquent ; Rouen dispute à l’Angleterre la souveraineté du commerce maritime, et le vieux Paris du XIIIe et du XIVe siècle excelle à tailler les habits et les gants, à fronder ceux qui le gouvernent, à faire des émeutes et des broderies de perles pour les chapeaux d’orfroi. On remarquera, parmi les portraits de villes, Rouen, Bayeux, Yvetot, Rennes, par M. Guilbert ; Pau, par M. Cassou, qu’une mort prématurée vient d’enlever récemment à de sévères études ; Autun, par M. Alfred Nettement ; Vézelay, par M. Mérimée ; Lyon, pour la partie militaire, par l’une des plus regrettables victimes des journées de juin, le brave et savant général Duvivier ; Marseille, par MM. de Gaulle et Baude ; les villes du pays de Comminges, par M. Armand Marrast ; Strasbourg, par MM. Émile Jolibois et Mossemann. Nous indiquerons encore la belle étude consacrée par M. A. de Tocqueville à l’histoire du port de Cherbourg et des gigantesques travaux exécutés dans ce port depuis tantôt deux siècles, travaux qui faisaient dire à Burke en 1786 « Ne voyez-vous pas la France, à Cherbourg, placer sa marine en face de nos ports, s’y établir malgré la nature, y lutter contre l’Océan et disputer avec la Providence, qui avait assigné des bornes à son empire ? Les pyramides d’Égypte s’anéantissent, en les comparant à des travaux si prodigieux. Les constructions de Cherbourg sont telles qu’elles finiront par permettre à la France d’étendre ses bras jusqu’à Portsmouth et à Plymouth, et nous, pauvres Troyens, nous admirons cet autre cheval de bois qui prépare notre ruine ; nous ne pensons pas à ce qu’il renferme dans son sein, et nous oublions ces jours de gloire pendant lesquels la Grande-Bretagne établissait à Dunkerque des inspecteurs pour nous rendre compte de la conduite des Français. »

Paris devait nécessairement occuper une place importante dans l’histoire des cités de la France, non comme centre politique, mais comme ville, et c’était dans cette distinction même que consistait l’une des principales difficultés du sujet. MM. Guilbert et de Gaulle se sont chargés de cette tâche : dans un intéressant résumé, ils ont retracé ce qu’on peut appeler la vie privée de la capitale, et ce n’était pas chose facile que de marcher sans s’égarer dans cette vaste enceinte agrandie par tant de siècles, et au milieu des immenses documens entassés par tant de chercheurs. En effet, il faudrait pour lire page à page tout ce qui a été écrit sur la capitale plusieurs existences d’homme, car, déjà dans la seconde moitié du dernier siècle, on trouve, d’après Fevret de Fontette, 260 ouvrages relatifs à l’histoire générale de cette ville, 152 sur les corps des marchands et les corporations industrielles, 148 sur le parlement, 20 sur la chambre des comptes, 227 sur l’histoire ecclésiastique en général, 343 sur divers points de cette histoire, 183 sur l’Université, 270 sur les quatre facultés, 112 sur les collèges, 66 sur les diverses académies et sociétés savantes. Tous ces livres, écrits au point de vue des recherches sérieuses, tous ces documens, factums ou mémoires ont la gravité de l’érudition, quelquefois même le pédantisme de la chicane. Paris n’est étudié là qu’au point de vue de la noblesse, de l’église, de la haute bourgeoisie, des corps savans ou privilégiés, des antiquités ou des monumens ; mais, à la fin du XVIIIe siècle, Mercier brisa tout à coup avec la vieille tradition, et, dans le Tableau qui parut de 1782 à 1788, il essaya de présenter la capitale sous un jour nouveau : il écrivit, comme on l’a