Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/564

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dit, au coin des rues, sur les bornes, les pieds dans le ruisseau ; il regarda la foule qui s’agitait devant lui, et entassa dans un livre étrange, confus, désordonné comme cette foule elle-même, quelques vérités utiles à côté de paradoxes extravagans, quelques pages éloquentes à côté de déclamations ridicules ; l’histoire du vieux Paris fut oubliée pour le roman des misères, des turpitudes du Paris moderne, et la capitale, les provinces, l’Europe entière accueillirent ce roman avec l’avidité qui ne s’attache que trop aux productions dangereuses. À défaut d’autre mérite, Mercier avait créé un genre, ouvert une nouvelle source à l’exploitation littéraire, celle des scandales d’une grande ville. Depuis lors, cette source n’a plus tari, et de nombreux affluens sont venus la grossir encore.

Napoléon, qui voulait la discipline et l’ordre dans l’armée comme dans la littérature, n’eût point permis aux écrivains de l’empire de sonder, comme on dirait de nos jours, les plaies sociales de la grande ville. Les escrocs, les voleurs, les filles perdues, restaient exclusivement dans les attributions du préfet de police ; les écrivains n’avaient point à s’en occuper, et, fidèles à la consigne qui leur était transmise par l’Académie française, ils se contentaient de célébrer en alexandrins solennels les embellissemens de Lutèce. Sous la restauration, l’histoire de Paris fut reprise en sous-oeuvre par l’opposition libérale. Dulaure eut un succès très grand et très immérité ; mais, par cela seul qu’il avait réussi, il trouva des imitateurs. Le public, qui croyait par son livre connaître le passé, voulut aussi connaître le présent, et il accueillit avec une faveur égale les Ermites de MM. de Jouy et Jay. Les Ermites ont du moins le mérite d’être irréprochables au point de vue moral. Le Livre des Cent et un vint bientôt s’ajouter à cette série d’études et d’observations ; mais le succès fut loin d’égaler, malgré la verve et l’éclat de certains morceaux, celui de Dulaure ou des Ermites, parce que l’ouvrage, écrit par des hommes de toutes les opinions, s’adressait moins à l’esprit de parti qu’à la simple curiosité, et que de nos jours c’est l’esprit de parti qui le plus souvent fait les grands succès.

En 1834, on voit paraître dans la bibliographie de la capitale un genre nouveau, inauguré par la publication intitulée Paris révolutionnaire, dont la pensée fut, dit-on, conçue par M. Godefroy Cavaignac. Un assez grand nombre de livres, tous fort ardens, furent publiés dans cette série jusqu’en 1836 environ, et à cette date il s’opéra une évolution nouvelle, tant est grande la facilité avec laquelle se déplace en France le mouvement des esprits. L’apaisement politique est complet : on s’occupe des églises, des monumens, de projets de construction, d’embellissemens, de voirie, d’octroi ; mais, comme il est difficile de rester long-temps sérieux, on passe bientôt à des choses plus attrayantes : on entre en plein dans les physiologies. Paris s’ennuie, et cherche à connaître tout ce qui le distrait ou le déprave : des guides complaisans conduisent le lecteur dans les rondes échevelées des bals publics, les coulisses des théâtres, les boudoirs des courtisanes, les tapis francs des escrocs. Paris, qui s’amuse à la cour d’assises presque autant qu’au théâtre, et qui demande des autographes à Lacenaire, Paris veut apprendre la langue des malfaiteurs, et se met à parler l’argot. La capitale s’étonne et s’admire d’être aussi riche en vices étourdissans : elle veut sonder tous ses abîmes, et, de chute en chute, elle tombe en applaudissant au roman de ses mystères ; mais, qu’elle y prenne garde, il y a là, dans cette curiosité fébrile et maladive, comme un symptôme de quelque