Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/569

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’ont les petites villes d’être chef-lieu d’arrondissement, l’ambition qu’ont les villages d’être chef-lieu de canton, entretiennent sur tous les points une foule de rivalités. Montbrison se regarde comme très supérieure à Saint-Étienne, et Saint-Étienne se moque de Montbrison. Dinars et Saint-Malo sont toujours en querelle ; Rennes et Nantes, qui se sont disputé pendant des siècles le parlement et les ducs de Bretagne, se disputent encore aujourd’hui le titre de capitale, et, chose plus singulière, Josselin et Ploërmel se battent à coups de poing en mémoire du combat des Trente. Tout cela, du reste, n’affaiblit en rien ce qu’on peut appeler la soudure française : l’Alsacien qui traite de Welches ceux qui ne parlent pas son patois tudesque est aussi Français que le paysan des cités de l’Ile-de-France. Le conscrit limousin, qui se mutile pour ne point quitter son pain noir et ses châtaignes, une fois sous les drapeaux, n’est pas moins bon soldat que l’enrôlé volontaire de la Picardie ou de la Flandre ; dans le Roussillon comme dans l’Artois, dans la Bretagne comme dans la Franche-Comté, on se plaint avec raison de l’impôt, mais on le paie. Si les provinces se souviennent encore de leurs anciennes individualités, si elles murmurent parfois le mot de séparation, ce n’est point contre la France, mais contre Paris que sont dirigés les murmures, et en supposant que notre unité puisse être un jour sérieusement compromise, ce ne serait ni par l’esprit municipal ni par l’esprit provincial, mais uniquement par les excès de l’esprit parisien.

À côté de cette statistique morale, on trouve dans les résumés de l’Histoire des filles de France de nombreux détails sur les traditions, les usages, les idiomes ou les patois, le commerce et l’agriculture. À part la Bretagne où vivent encore dans l’imagination des peuples les êtres fantastiques du monde suprà-sensible, les fées, les korrigans, les poulpiquets, les boulbigueons, à part cette province qui se souvient toujours de la forêt de Brocéliande, de Merlin et du roi Arthur, on peut dire que nous sommes aujourd’hui très déshérités en fait de traditions, et que la poésie s’en va. Ce qui nous reste des antiques croyances se borne à peu près exclusivement à quelques usages empruntés aux cérémonies funèbres du paganisme, au culte des arbres et des fontaines, aux fêtes du solstice et à la fête de Maia. Les pleureuses qui suivent les enterremens en poussant des cris et en se tordant les cheveux, ainsi que les repas funéraires, se retrouvent généralement sur les points les plus éloignés du territoire. En Dauphiné, ces repas ont lieu dans les cimetières, et le curé, avec la famille du défunt, s’assied à une table dressée sur la fosse même. En Gascogne, la superstition chrétienne se mêle au souvenir des rites païens, et, quand on s’attable après un enterrement, on ne mange que des viandes bouillies, dans la persuasion que, si l’ami ou le parent qu’on vient de conduire à sa dernière demeure était damné, l’usage du rôti doublerait son supplice. Gargantua, les loups-garoux, les revenans et le diable perdent de jour en jour de leur popularité ; la royauté des fantômes s’en va comme tant d’autres royautés, et cependant, malgré la diffusion des lumières, les romans-feuilletons et : les almanachs progressifs, il y a deux puissances mystérieuses que l’on n’a point encore détrônées, Mathieu Laensberg et les bergers, les sorciers et le prophète.

Les idiomes provinciaux résistent mieux que les traditions à la perfectibilité sociale. Il y a encore, aujourd’hui comme au moyen-âge, une langue d’oil et une langue, d’oc ; mais la langue d’oil est tombée depuis long-temps à l’état de