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premier d’après M. Hersent, la Vierge au poisson et la Visitation, gravées par le second d’après Raphaël, ne témoignent pas que leur foi dans la supériorité de l’ancienne manière ait été le moins du monde ébranlée ; mais d’autres, plus jeunes ou moins profondément convaincus, se laissèrent influencer d’abord, puis complètement séduire. Ils tentèrent, à l’exemple des Anglais, de mélanger dans leurs travaux les procédés de gravure que les maîtres n’avaient jamais employés qu’isolément ; ils recherchèrent ce qui pouvait faciliter l’accomplissement de leur tâche, en rendre le résultat piquant, et, les imitations se multipliant en raison du succès qui les avait accueillies, l’école française se trouva, en peu de temps, presque généralement transformée. La manière noire fut appliquée à la gravure de tous les sujets, même à celle des sujets d’histoire ; il ne parut guère, vers la fin de la restauration, d’autres ouvrages en taille-douce que les estampes exécutées aux frais de la maison du roi ; encore quelques-unes de celles-ci affectaient-elles une certaine apparence frivole et une coquetterie d’effet qui trahissaient plus d’étude des vignettes anglaises que de respect pour les hautes conditions de l’art. Ce zèle de contrefaçon se refroidit enfin. Une réaction heureuse, commencée il y a quelques années, se poursuit et s’achève aujourd’hui, et, l’engouement ayant fait place à la réflexion, on a reconnu ce que la méthode importée avait de décevant et de futile.

D’ailleurs, malgré ses hésitations et ses erreurs momentanées, malgré l’éparpillement de ses forces, notre école de gravure n’a jamais été dépourvue de talens dignes de continuer sa gloire et de faire envie aux écoles rivales. Si aux estampes publiées en France depuis le commencement du siècle par Bervic et les artistes déjà cités on ajoute celles qu’ont produites à partir de 1820 MM. Richomme, Henriquel-Dupont et plusieurs autres, on verra qu’en dépit de la double influence exercée avec des inconvéniens divers par David et les graveurs anglais, le nombre et la valeur des œuvres assurent encore à notre art sa supériorité accoutumée. Le portrait du comte d’Arundel, par M. Tardieu, ne peut-il être comparé à ceux des maîtres du règne de Louis XIV ? La tête du portrait en pied du prince de Talleyrand, par M. Desnoyers, rappelle les ouvrages de Nanteuil pour la finesse de la physionomie et la simplicité du style[1]. Le portrait de M. Bertin, gravé par M. Henriquel-Dupont

  1. Les autres parties de ce portrait sont traitées sans doute avec une grande habileté, mais elles sont loin d’être aussi remarquables que la tête. Peut-être cette infériorité résulte-t-elle de l’imperfection de l’original. En général, lorsque M. Desnoyers a pris pour modèle quelque tableau de l’école moderne, il a moins complètement réussi que dans ses travaux d’après les anciens maîtres. Ainsi le Bélisaire et l’Homère d’après, Gérard ne sauraient, même sous le rapport de l’exécution matérielle, être égalés à la Vierge Jardinière, à la Vierge de la maison d’Albe, à tant d’autres belles planches gravées d’après Raphaël par M. Desnoyers.