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REVUE DES DEUX MONDES.

de l’exécution les hardiesses de la pensée, les témérités calculées de la science au vol d’aigle ! Mais quoi, n’existe-t-il donc de rapports entre les Chinois et les Anglais que le style de leurs romans, les formes de leur littérature élégante ? Ne trouve-t-on pas dans la race chinoise les aptitudes industrielles et mercantiles de la race anglo-saxonne ? Les Anglais n’ont-ils pas en revanche quelques traits du caractère chinois, le formalisme, le culte de la routine, la tendance hiérarchique, l’esprit de caste, l’idolâtrie du souverain, et, sous des formes graves, un très vif penchant à la perpétuelle satisfaction des appétits physiques. Il ne faut donc s’étonner qu’à moitié de voir, dans les romans des deux peuples, s’exprimer à peu près de même la femme du mandarin lettré et celle du très honorable pair. L’humanité, qu’on retrouve partout assez identique, se modifie de même sous des influences et dans des circonstances analogues. Si donc vous admettez que la vie de ces deux femmes se compose, à peu de chose près, des mêmes élémens, que toutes deux doivent placer en première ligne les soins de leur parure, puis les relations de société, puis, toujours en descendant l’échelle de proportion, les intérêts de cœur, fort mêlés et compliqués de considérations d’amour-propre ; si leur temps, à l’une et à l’autre, se consume en visites, en longs bavardages, en médisances, en petites luttes de vanité ; si toutes deux, dès l’enfance, ont été tenues, pour ainsi dire, en serre chaude, acquérant, aux dépens de leur développement naturel, une grace factice, une élégance de convention ; si les soins excessifs dont elles ont été l’objet les ont habituées à se considérer comme un centre d’adoration, à s’adorer elle-mêmes, à diviniser leur fantaisie, à lui donner le pas sur les conseils de la raison et du bon sens, — comment voulez-vous qu’elles ne se ressemblent point ? Revenons à notre sujet. Pique n’est certes pas un roman de premier ordre, et, le dégageât-on des longueurs qui l’encombrent, il n’offrirait encore qu’une lecture facile, sans intérêt très puissant ; mais n’est-ce rien que cela ? et ne peut-on savoir gré à l’auteur de trois volumes, lorsqu’on y trouve, de ci de là, cent cinquante à deux cents pages écrites avec un charme incontestable ? C’est au public de résoudre la question que nous venons de poser.


Forgues.

REVUE MUSICALE.

C’est une fécondité vraiment merveilleuse que celle de M. Halévy. En moins de deux années, le Val d’Andorre, la Fée aux roses, la Tempesta et la Dame de Pique ! Il est à remarquer qu’il ne s’agit plus ici de ces opéras de conversation, comme en écrivait M. Auber au bon temps du Domino noir et de l’Ambassadrice, de ces ingénieuses comédies qu’un peu de musique relève agréablement, lorsque le dialogue semble n’avoir rien de mieux à faire que de laisser la place libre aux violons, mais bel et bien de grosses partitions dûment fournies de solides morceaux d’ensemble, et qui du moins, quant au déploiement des ressources théâtrales et symphoniques, répondent à toute l’idée qu’on se représente d’une grande machine dramatique. Étrange chose, tandis que M. Auber, le maître du genre émigre à l’Opéra avec tambours et trompettes, M. Halévy, génie académique s’il en fut, apporte à Favart les traditions lyriques de la rue Lepelletier, et si l’auteur de Fra Diavolo se charge de mettre la Bible en ariettes, le chantre de la Juive, sans se départir un seul instant de ses habitudes ma-