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a succédé, moins coquet, moins poétique et surtout, hélas ! moins allemand à la manière des légendes de Lamothe-Fouqué et de Musœus. Il est ici beaucoup question de sergens recruteurs, comme dans le Philtre, et d’une fiancée s’enrôlant à son tour pour suivre son amant sous les drapeaux, tout cela d’un intérêt médiocrement neuf et d’un pittoresque assez rebattu, en dépit des graces provoquantes et du vaillant entrain de la Cerrito. Si le ballet, ainsi qu’on l’a prétendu, était une sorte de poésie, et s’il pouvait y avoir deux écoles en pareil sujet, nous dirions que Paquerette relève de la tradition réaliste et classique de la Fille mal gardée, tandis que Giselle descendait, au contraire, en droite ligne de l’adorable famille des Ondine et des Oberon. N’en déplaise à M. Théophile Gautier, en fait de ballet nous tenons pour le romantisme, et, si l’auteur de Paquerette pouvait le trouver mauvais, le charmant inventeur de Giselle ne manquerait pas de nous donner raison contre lui.


LA PRISE DE LA SMALA D’ABD-EL-RADER, gravure de M. Burdet, d’après M. Horace Vermet. — Depuis que notre drapeau flotte sur les murs d’Alger et que chaque année apporte son tribut aux glorieuses annales de notre conquête, parmi les hardis coups de main et les heureuses témérités de cette guerre incessante, aucune, on le sait, n’a exercé une plus utile influence sur le succès définitif de nos armes que l’expédition de M. le duc d’Aumale aux sources du Taquin. L’émir a été frappé au cœur le jour où, le désert cessant d’être un rempart impénétrable à nos soldats, la smala fut surprise et enlevée à plus de soixante lieues d’Alger ; son prestige n’a pas survécu à ce revers, et, comme il le disait quelques années plus tard en remettant son épée à M. le duc d’Aumale, son étoile avait définitivement pâli devant celle d’un prince plus jeune et jusqu’alors plus heureux. La smala était, en effet, une création de notre infatigable adversaire ; là était sa famille, son trésor, ses ôtages, ses fantassins réguliers, ses provisions de guerre, ses innombrables troupeaux ; en un mot, c’était sa capitale, qu’il avait rendue ambulante et mobile, afin de pouvoir se donner sans réserve à la lutte qu’il soutenait sans paix ni trêve contre notre domination. Ce camp ou plutôt cette capitale nomade, placée sous la sauvegarde des fanatiques de l’émir, était reléguée à plusieurs journées de marche dans l’intérieur du petit désert, à quarante lieues de notre dernière ligne d’occupation, lorsque, dans le courant du mois de mai 1843, l’ordre fut donné au jeune prince commandant la province de Titterie de poursuivre et de surprendre la smala d’Abd-el-Kader. Aussitôt une faible colonne de dix-huit cents hommes s’avance dans le désert et dérobe son approche à l’ennemi en faisant vingt lieues en une seule marche. L’infanterie sous les ordres du colonel Chadeysson, puis les zouaves du colonel Chasseloup, qui essaient en vain de suivre le trot des chevaux, sont laissés en arrière. Les spahis et les chasseurs qui accompagnent encore le prince sont harassés de fatigue ; lui seul soutient encore leur ardeur, leur promettant d’heure en heure la rencontre de l’ennemi. Tout à coup la smala se développe à leurs yeux, ses tentes couvrent la plaine, et déjà ses innombrables soldats courent aux armes. « C’était une de ces occasions où la témérité même est de la prudence, » a dit depuis l’illustre maréchal Bugeaud. Le prince l’avait compris ; il donne le signal et l’exemple de l’attaque, et une victoire qui étonna les vainqueurs eux-mêmes fut le prix de tant d’audace.

C’est le simple récit de cette brillante action, fait par M. le duc d’Aumale