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REVUE. — CHRONIQUE.

lui-même, que le pinceau de M. Horace Vernet a fidèlement traduit. Tout le monde se souvient du succès de popularité qui accueillit, au salon de 1845, le tableau de la Prise de la Smala. Les proportions inusitées du tableau de la Smala ont permis au peintre de traiter son sujet avec l’exactitude d’un historien militaire et d’un voyageur à qui ne sont inconnus ni le bivouac du soldat ni la tente de l’Arabe. L’action se présente aux regards dans tout son ensemble. À gauche, c’est-à-dire dans le fond du tableau, les spahis avec le colonel Yusuff attaquent le douar d’Abd-el-Kader et culbutent l’infanterie régulière qui se défend avec le courage du désespoir ; sur la droite, les chasseurs du colonel Morris traversent les tentes et chargent à fond sur le spectateur ; au centre est placé M. le duc d’Aumale, vers lequel le regard se porte de tous les points du tableau. Le peintre n’a oublié d’ailleurs aucun des épisodes de l’action, il a retracé avec autant de charme que de vérité scrupuleuse ces combats d’homme à homme, ces femmes éplorées et tout l’étrange appareil d’un camp arabe. L’infanterie même, qui n’arriva que quelques heures après le combat, figure à la place qui lui appartient dans cette vaste composition ; on aperçoit à l’horizon ces bataillons qui, après une marche admirable, trente lieues en trente-six heures, arrivaient en bon ordre, sans avoir laissé en arrière ni un homme, ni un mulet.

La simple analyse de cette peinture fait assez comprendre l’intérêt qui s’attache à la gravure sur acier de la Prise de la Smala, par M. Burdet, qui figure au salon de 1850. C’est déjà chose assez remarquable qu’un pareil travail accompli dans des temps comme les nôtres, si peu favorables aux œuvres de longue haleine, et surtout aux patiens efforts du burin. La monarchie de juillet avait donné aux arts dix-huit années de prospérité ; aussi pouvait-elle distribuer ses encouragemens avec confiance, certaine que des œuvres capitales répondraient à son appel. L’art de la gravure, qui, plus qu’aucun autre, a besoin d’une protection éclairée et active, avait surtout une large part dans la sollicitude du roi Louis-Philippe. Qui ne se rappelle l’immense ouvrage des Galeries de Versailles ? Lorsque le roi conçut le projet de reproduire par la gravure ce vaste musée, M. Gavard, l’inventeur du diagraphe, lui parut le plus capable de comprendre et d’exécuter sa pensée. Le goût de la gravure était une tradition au sein de la famille royale[1] ; le roi Louis-Philippe, s’y était montré fidèle. Ce n’était pas Seulement chez lui l’effet d’un sentiment éclairé des arts ; il aimait surtout la gravure, parce qu’il la considérait comme l’art destiné à traduire et à mettre à la portée de tous les merveilles du pinceau. Sa pensée se portant même avec une sérénité philosophique sur les chances de l’avenir, il disait à M. Gavard : « Mon ouvrage (et le roi désignait ainsi le musée de Versailles) n’est pas éternel, un incendie, une révolution peut le détruire sans en laisser de traces ; mais les feuillets épars de votre grand livre sont à l’abri de ces chances de destruction. Ceux que le temps et les événemens auront respectés suffiront pour rappeler un jour ce que j’ai fait pour les arts et pour la mémoire de tout ce qui a honoré la France. »

  1. Il existe à cet égard un document fort rare et fort curieux : c’est l’œuvre gravée de tous les princes fils et filles du roi Louis-Philippe. À la façon de quelques maîtres, tels que le Parmesan, Della Bella ou notre Callot, ils dessinaient directement leurs compositions avec la pointe sur le vernis. Plusieurs de ces eaux-fortes se distinguent par un vrai mérite, et l’on n’étonnera personne en disant que les travaux de la princesse Marie, s’ils étaient plus connus, la placeraient au premier rang parmi les graveurs en ce genre.