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et rentreront chez eux, jusqu’à ce qu’un intérêt commun de vengeance, remplaçant l’espoir de la victoire, les rassemble de nouveau. Certes, les exécutions faites dans les villages carlistes par les christinos ont autant contribué à ranimer l’insurrection que le prestige exercé par Zumalacarregui sur les insurgés.

Ce qu’il y a de force native et de grandeur primitive dans la population vasco navarraise fournirait d’innombrables thèmes à une épopée héroïque digne du romancero. Il arrivait souvent, dans la dernière guerre civile, que des mères, après avoir perdu un mari et un fils, venaient solliciter du général, au nom des malheurs déjà éprouvés, l’honneur de sacrifier leur dernier enfant à la cause commune. Et ce père qui disait à son fils qu’on lui rapportait mourant sur la route de Saint Sébastien : «  Je me réjouis de te voir, mourir, pour notre cause, » est connu de toute l’Europe. Ces hommes énergiques apportent du reste le même stoïcisme de sentiment dans la joie que dans la douleur. On se figure peut être que, durant les calamités et les horreurs de la lutte contre les christinos, l’aspect de cette population a dû être morne et désolé ; au contraire, jamais les habitans de la Navarre ne furent plus gais et plus enclins aux réjouissances. Il n’était pas rare de voir des villes et des villages, que les peseteros et les carabiniers christinos venaient de mettre à sac le matin, secouer le soir même leurs cendres et voiler leurs désastres pour accueillir en habits de fête les volontaires carlistes qui s’avançaient. Les rues se jonchaient de fleurs, les fenêtres étaient pavoisées, on agitait les écharpes et les mouchoirs, et, la nuit venue, les doux refrains et les bruyantes rondas réveillaient partout les échos réjouis. C’était alors une fureur d’amusemens et de plaisir, devenue plus ardente entre les massacres de la veille et les dangers du lendemain. La guerre a passé bien des fois sur cette contrée sans en altérer le caractère primitif. La population vit dans la guerre civile comme dans son élément. Elle y est si bien habituée, qu’elle subsiste uniquement de quelques galettes de sarrasin avec du piment et des oignons, tant que durent les hostilités, afin d’être toujours en mesure de fournir assez de rations aux deux partis qui se disputent la victoire.

Naturellement, les femmes sont constamment mêlées à tous les actes de cette existence pleine d’émotions et de dangers. Braves et fortes comme des hommes, les Navarraises sont sensibles et dévouées comme des héroïnes de roman. Bien des fois les jeunes filles demandaient pour époux des soldats blessés, uniquement parce qu’ils avaient reçu de belles blessures, et rarement les parens refusaient de souscrire à ces singulières exigences de patriotisme amoureux. Outre qu’elles labouraient la terre pendant que les hommes se battaient, les femmes avaient souvent pour mission de conduire des convois : on les voyait (1 mots illisible) sur les champs de bataille, à travers les balles, pour enlever les