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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/724

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ce retard ; la plaine n’est pas sûre, et j’ai hâte de voir les premières maisons de Cordova.

— Bah ! cette petite course sera l’affaire de cinq minutes, dit le muletier ; voyons, un temps de galop, et je vous débarrasse de ma présence et de celle de mes amis, qui paraît ne pas vous charmer beaucoup, foi d’honnête homme !…

— Eh bien ! soit, pourvu que je reparte, répondit Perez, et il enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval. Fernando le suivait de si près, que leurs genoux se touchaient. Les gauchos et les bouviers poussaient des cris de joie pour exciter davantage les deux chevaux qui semblaient voler sur la plaine. Déjà aussi les autruches, qui se sentaient poursuivies, fuyaient au plus vite ; le cou tendu, elles fouettaient l’air de leurs courtes ailes, et sillonnaient cet océan de hautes herbes en faisant à droite et à gauche de rapides et brusques crochets. Les deux cavaliers les harcelaient avec vigueur et se rapprochaient d’elles. Cette course effrénée durait depuis dix minutes au moins, lorsque Fernando commença à rester en arrière. Gil Perez, qui se retournait pour calculer du regard la distance qui le séparait de lui, l’aperçut qui brandissait à la main une paire de boules[1] grosses comme le poing. « Amigo, lui cria-t-il sans s’arrêter, ces boules-là sont bonnes pour abattre un cheval sauvage ; » mais, comme il cherchait à sa ceinture les petites boules de plomb qu’il se préparait à lancer lui-même au cou de l’autruche, son cheval tomba, les pieds de devant enlacés dans les cordes qui venaient de partir des mains du muletier. La violence de la chute fut en proportion de la vitesse de la course. Fernando poussa un cri de triomphe en voyant son rival rouler dans la poussière. Perez, tombé sur le côté gauche, cherchait à dégager son sabre pour couper la terrible corde dont les replis emprisonnaient les jambes de son cheval. La pauvre bête haletante, couverte d’écume, se débattait avec force. Avant que Gil Perez eût pu mettre la main sur son arme, le muletier sauta à terre et le prit à la gorge.

— Tu es un traître et un lâche ! criait le malheureux Perez étourdi par sa chute, en essayant de se délivrer des étreintes de son ennemi. Tu m’as attiré dans un piège pour m’assassiner !

— Ce n’est pas tout, répondit froidement le muletier. Regarde par là… Tu vois cette fumée ; ce sont tes chariots qui brûlent. La plaine est en feu… C’était toi que je chassais, carretero ; j’ai suivi ton conseil : de muletier que j’étais, que je serais encore sans toi, je me suis fait brigand. J’ai revu Pepa ; elle ne veut plus de moi… Le traître, entends-tu, c’est toi qui as ruiné toutes mes espérances.

Perez était alerte, vigoureux ; son ennemi n’eût osé lutter contre lui

  1. Cette arme, que les gauchos lancent à vingt pas devant eux, se compose de trois boules attachées à autant de cordes : celle que l’on tient à la main est plus longue que les deux autres.