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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/723

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était en hiver ; un vent glacé balayait ces mornes solitudes, où rien ne met obstacle à sa violence. Comme il galopait en avant de sa caravane pour reconnaître le gué d’un petit ruisseau, Perez découvre à l’horizon une douzaine de points noirs qui se dirigeaient vers lui avec une extrême vitesse. Il distingue bientôt des cavaliers aux ponchos flottans, les uns armés de lances, les autres tenant à la main de courtes carabines. Une pareille rencontre lui paraît suspecte ; il revient sur ses pas et range sa troupe en ordre de bataille. Les chariots sont disposés en cercle, le timon en dedans ; les bœufs, placés au centre, obéissent à la voix des bouviers et se serrent les uns contre les autres. Des armes sont distribuées au reste de la troupe ; entre tous les chariots, des pistolets et des tromblons menacent l’ennemi qui tenterait de pénétrer au milieu du convoi changé en forteresse. Ces dispositions étaient à peine prises, que le groupe de cavaliers ralentit sa marche ; un seul d’entre eux pousse en avant. Arrivé à vingt pas des chariots, il s’arrête, et, déliant le mouchoir qui cachait une partie de son visage :

— Don Gil, s’écria-t-il, avouez que le petit muletier Fernando vous a fait grand’peur ?

— C’est toi ! répliqua Perez. Que fais-tu ici ? que nous veux-tu ?

— J’ai changé de métier, amigo ; ne vous avais-je pas dit que, quand je serais dégoûté de celui de muletier, j’en prendrais un autre ? Maintenant, je suis chasseur d’autruches ; mes amis et moi, nous en avons poursuivi ce matin une belle bande qui nous a échappé. Ne l’avez-vous pas rencontrée ?

— C’est encore un triste métier que tu fais là, mon garçon, dit Gil Perez. Si tu n’avais que cela à me dire, il ne fallait pas fondre sur nous avec tes compagnons comme des voleurs. Au moment où vous avez paru à l’horizon, il y avait, à un mille devant moi, quelques autruches que j’ai fait fuir ; si ce sont là celles que vous cherchez, continuez votre chasse, et laissez-nous suivre notre route.

Pendant ce pourparler, les bouviers rassurés avaient cessé de se tenir sur la défensive ; les compagnons de Fernando s’approchaient d’eux lentement, avec une indifférence marquée, en roulant leurs cigarettes. La conversation s’engageait entre les prétendus chasseurs et les conducteurs de chariots. Bien qu’il ne soupçonnât aucune trahison, Perez hésitait à se remettre en marche tant que Fernando et sa bande ne se seraient pas éloignés. La halte se prolongeait donc, et les autruches, que n’effrayait plus le bruit des roues tournant sur les essieux de bois, reparaissaient au-dessus de la colline derrière laquelle elles s’étaient réfugiées.

— Tenez, don Gil, reprit Fernando, je parie que mon cheval, qui a déjà fait dix lieues ce matin d’une seule traite, atteint l’une de ces bêtes-là avant le vôtre, tout reposé qu’il est !

— Je n’ai pas le temps d’accepter ton défi, répondit Perez ennuyé de