Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est que par l’inexpérience et l’embarras de ses allures. Un esprit moins vain, un cœur moins corrompu que celui du comte adorerait chez la jeune femme des trésors de candeur et d’amour ; le, comte Wartenberg aime mieux poursuivre des succès qui causeront le désespoir de sa vie, mais qui satisferont sa vanité furieuse. La comtesse Aurélie Hartenstein est célèbre dans le monde par son altière beauté et l’audace brillante de son esprit ; c’est elle qui sera aimée du comte. Ce que souffre la jeune femme au moment où ses illusions se dissipent, où l’odieuse vérité lui apparaît, où elle compare la douce existence de sa jeunesse et le charme de ses campagnes natales à l’enfer de sa vie présente, où elle se sent isolée enfin au sein d’un monde qui la remplit d’effroi, ce qu’elle souffre alors, il faut le demander aux pages émues de Mme de Goehren ; car c’est dans ces peintures que l’auteur jouit de ses meilleurs avantages, c’est dans sa pitié pour ces navrantes douleurs qu’elle trouve ses inspirations les plus vives, et je ne sais quel accent original que l’art tout seul ne donne pas. Voyez le comte et sa femme faisant, pendant l’été, un voyage de plaisir en Hongrie ; la comtesse Aurélie les accompagne. Bien que les deux femmes soient en présence, il n’y a pas de lutte possible ; la comtesse Aurélie ne daigne même pas se servir de toutes ses armes, assurée de la victoire, confiante dans sa supériorité de femme du monde et dans la vanité de son amant, elle éprouve parfois une compassion superbe pour l’anéantissement de sa rivale. Ce tableau de la force orgueilleuse et de la faiblesse résignée est tracé avec une poignante amertume. Patience cependant ! Cette jeune femme ou plutôt cette enfant si humble ; si craintive, si peu préparée à ces luttes indignes, le temps, sans qu’elle le sache elle-même, va lui donner bientôt une réparation éclatante. Abreuvée d’humiliations et de dégoûts, pénétrée de mépris pour celui dont elle porte le nom, la comtesse Alma s’est retirée auprès de sa mère dans la solitude paisible où s’est écoulée son enfance. Quelques années se passent. L’enfant est devenue une femme, la grace naïve s’est changée en une beauté accomplie. On ne la de daignera plus ; elle peut rentrer en triomphe dans ce monde qu’elle a quitté ; elle sera, si elle le veut, la reine de ces salons qu’elle méprise. C’est à la comtesse Aurélie de trembler désormais, c’est au comte Wartenberg de comprendre avec désespoir tout ce qu’il a perdu. Aurélie ne souffrira pas seulement dans sa vanité ; pour que la punition soit complète, la femme altière sera frappée au cœur. Elle aime ; la coquette sans pitié, elle aime ardemment un jeune peintre hongrois, Ottomar, destiné à être pour elle l’instrument de l’inévitable justice. Ottomar, après la mort misérable du comte Adolphe, sera le mari de la comtesse Alma.

Mme de Goehren a fait preuve d’une inspiration louable dans ces touchantes histoires. Toutes les fois qu’il s’agit de la dignité morale de la femme, elle trouve sans effort des accens émus, de vives et pénétrantes images. En ressentant avec une sympathie passionnée les douleurs dont elle est l’interprète, elle ne se laisse pas emporter au-delà du vrai, elle n’oublie jamais les austères prescriptions du devoir ; elle enseigne la résignation, elle sait relever les ames abattues. La vengeance qu’elle fait éclater sur les coupables, ce n’est pas la victime elle-même qui l’exerce ; la vengeance, c’est l’auteur qui l’appelle, et elle apparaît toujours comme l’exécution d’une sentence d’en haut. Voilà la part du bien dans les œuvres que nous venons d’analyser. Les objections