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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/772

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une pureté idéale, de célébrer un âge d’or impossible, c’est de peindre les sentimens de l’homme dans un état plus voisin de la nature. Le bien ou le mal, les instincts heureux ou méchans, la douceur ou la violence, dégagés de tout ce qui les déguise au milieu des raffinemens des villes et s’exprimant avec liberté, voilà le but de cette poésie dont Théocrite a donné le modèle. Quand on oublie cette loi, l’art se défigure bien vite, et l’on passe des pâtres siciliens aux bergers de l’ Astrée, du cyclope à Céladon. M. Hartmann n’en est pas là ; qu’il y songe pourtant, et qu’il se préoccupe davantage de la vérité ! Les paysans, même au fond de la Bohême, n’ont pas tous cette perfection romanesque. En suivant de plus près la nature, il évitera aussi la monotonie dont son œuvre est empreinte, bien que la simplicité soit le principal mérite de ces sortes de poèmes, bien qu’il faille se garder de confondre le roman et l’églogue, comme l’a fait l’auteur de Jocelyn, l’intérêt de son récit pourrait être plus vif, l’invention pourrait être plus variée. Malgré tous ces défauts, l’élégance châtiée du style, le vif sentiment de la poésie des forêts, font de l’idylle de M. Hartmann une œuvre fort distinguée. Il y a là un mélange de grace virgilienne et de saveur germanique qui compose une physionomie originale.

Ce retour à la simplicité de la nature, ces études de poésie et de littérature rustique sont un symptôme qui mérite d’être examiné. Il y a long-temps, il est vrai, que des essais de ce genre furent tentés par des écrivains habiles ; ni Mme Sand, ni M. Berthold Auerbach n’en ont donné le signal ; pour découvrir les premiers filons de cette veine exploitée aujourd’hui.avec tant de zèle, il faudrait remonter à Immermann et à Peztalozzi. Toutefois, ce n’étaient alors que des inspirations isolées ; à présent, c’est toute une branche de l’invention littéraire, et le succès de plusieurs écrits, la faveur marquée du public, le nombre et l’empressement des imitateurs, ont donné à ces publications une espèce d’importance. Quel est donc le sens de ce symptôme ? Est-ce seulement un moyen de rajeunir les émotions poétiques, de renouveler l’attention du lecteur par des tableaux inattendus, comme cela arrive d’ordinaire dans les littératures épuisées ? ou bien faut-il y voir quelque chose de plus, le premier éveil de la poésie démocratique, une sympathie sincère pour ces masses confuses qu’il importe de révéler à elles-mêmes, à mesure que le progrès des siècles et la diffusion des lumières les introduisent plus activement dans la vie sociale ? Il y a peut être l’un et l’autre motif, mais à coup sûr c’est le premier qui domine. Le défaut de ces peintures en effet, et je parle des meilleures, c’est que le vrai y semble presque toujours affecté. On voit trop l’effort de l’artiste, on devine trop aisément l’intention secrète, le parti-pris mal dissimulé, et de là un certain tour factice qui détruit l’illusion. Cette littérature démocratique, cette poésie des classes laborieuses, ce n’est pas des lettrés qu’on doit l’attendre ; celle qu’on nous donne n’en est le plus souvent que le mensonge. Allons plutôt interroger directement les naïfs organes de la pensée populaire, partout où des circonstances spéciales et des instincts heureux favorisent l’épanouissement de ces précieux germes. Les chants de telle contrée qui a gardé son caractère propre, les poésies bretonnes du Morbihan ou du pays de Galles, les légendes allemandes ou slaves en disent plus sur les vrais sentimens du peuple que les brillantes peintures des écrivains de profession. Or, les dernières guerres de la révolution européenne ont attiré l’attention sur les poésies populaires