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était pas venue pour oublier un siècle coupable, mais pour attirer sur lui le châtiment par la force de la prière. On ne peut se défendre d’une sorte de terreur religieuse devant la statue de la duchesse de Lorraine[1]. À cette pâle figure de marbre blanc revêtue d’un long suaire de marbre noir, à ce masque sillonné par l’âge, macéré par la pénitence, à ces traits mâles et durs, on reconnaît la mère des Guise, comme on reconnaissait la mère des Gracques à l’orgueil de son grand sourcil[2].


Plein de sagacité et de courage, de résolution et de finesse, doué d’une beauté noble et séduisante, le duc Claude joignait a tous ces dons de la nature un avantage auquel nul autre ne supplée, et qui parfois tient lieu de vertu et de mérite. Par ses qualités comme par ses défauts, il était de son temps ; il en eut toutes les passions : ce fut sa force. On ne gouverne les passions de ses contemporains que lorsqu’on les comprend et qu’on les partage. Claude était fanatique comme un inquisiteur et galant comme un chevalier, ce qui ne lui ôtait ni la faculté du calcul ni la possession du sang-froid. Mieux inspiré que ses descendans, il avait renfermé ses vœux dans un cercle réalisable, quoique étendu. Rien ne donne à penser que ce prince ait jamais visé au trône, même dans un avenir lointain, même pour sa postérité. Déjà apparenté à la maison de France, il se borna à former avec elle un lien plus étroit et plus direct. Il trouva dans Antoinette de Bourbon ce qui pouvait satisfaire à la fois le vœu de son ambition et le penchant de son cœur. Cette union fut le premier et peut-être l’un des plus grands bonheurs de cette heureuse maison, non-seulement à cause de la noblesse et de l’utilité d’une telle alliance, mais à cause du caractère d’Antoinette, qui ne se démentit jamais pendant un long espace de temps. Elle ne mourut qu’octogénaire par un privilège qui lui fut commun avec les autres femmes de la maison de Guise, depuis la mère de Claude jusqu’à la veuve du Balafré. Personne n’usa d’une longue vie avec une dignité plus imperturbable et plus constante. Placée par son origine royale au-dessus du rang qu’elle avait accepté, Antoinette de Bourbon s’identifia si complètement avec sa nouvelle situation, que, par une abnégation très rare, elle renonça aux honneurs et aux distinctions qui lui appartenaient en propre, rejetant ce qu’elle ne pouvait partager avec son mari. La médisance, qui poursuivait sa famille, l’épargna et la respecta toujours ; la calomnie même ne s’essaya jamais contre elle. Cependant elle était douée de toute l’adresse compatible avec la droiture, mais elle était plus forte encore de ses vertus

  1. Transportée avec son tombeau de Pont-à-Mousson aux cordeliers de Nanci.
  2. …Malo
    Malo venusinam quam te, Cornelia mater
    Gracchorum, si cum magnis virtutibus affers
    Grande supercilium et numeros in dote triumphos. (Juvénal, sat. VI).