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enchantemens défendus de Dieu, et qu’il ne vouloit autre cure ni remède, sinon celui qui provenoit de sa divine bonté et de ceux des chirurgiens et médecins élus et ordonnés d’elle, et que c’en seroit ce qu’à elle luy plairoit, aymant mieux mourir que de s’adonner à de tels enchantemens prohibés de Dieu. » Je l’avouerai, ce simple récit m’émeut bien plus profondément que le célèbre pardon accordé sous les murs de Rouen. Lorsqu’il disait à un huguenot : « Juge de la différence de nos religions ; la tienne t’ordonne de m’assassiner, la mienne me commande de te pardonner ; » Guise parlait en chef de parti bien plus qu’en chrétien. L’assassinat fut tout au plus la doctrine d’une époque, jamais celle d’une communion quelconque. Voltaire a été plus logique en mettant ces paroles dans la bouche d’un Espagnol, qui s’adresse à un sauvage, à un adorateur des fétiches. Ici il n’y a plus ni chef de parti ni profond politique : le chrétien seul est resté. Saisi par la mort au milieu d’une prospérité inouie au plus haut, au plus vif de ses espérances, Guise peut ressaisir la fortune et la vie. Pour les retrouver, pour renaître ; il croit n’avoir qu’un mot à prononcer, et il refuse de dire ce mot, il repousse ce secours, non parce qu’il doute de son efficacité, il en est au contraire persuadé avec tout son siècle, mais parce que ce remède est coupable. Il aime mieux mourir que de l’accepter. Gloire, fortune, existence, couronne même, cette couronne, objet de ses plus fervens désirs, il repousse tout, il ne veut pas vivre, parce que les enchantemens sont défendus, parce qu’ils ne sont pas de Dieu, mais du démon. Là, le sentiment du devoir apparaît dans toute sa grandeur ; voilà du sublime sans exagération, sans emphase, un sublime loyal et simple. Il faut beaucoup pardonner à celui qui, sans se dépouiller entièrement de la férocité de son temps, vécut comme un chevalier et mourut comme un saint.

Cependant cette mort fut loin d’être un malheur public, le duc de Guise tombait au moment où il allait bouleverser la terre adoptive que son courage avait défendue autrefois. Sa perte ne prévint pas les maux de la patrie, qui éclatèrent quelque temps après avec plus de fureur, mais elle les ajourna. Poltrot n’avait frappé qu’un chef de factieux à la veille de devenir un chef de rebelles. Guise expiré, le gouvernail de l’état fut saisi d’une main rapide, adroite et ferme. C’est le moment le plus brillant et le seul irréprochable du gouvernement de Catherine de Médicis. En voyant ce qu’elle fit dans ce court intervalle, on peut soupçonner sans injustice que cette femme aurait pu tenir une place honorable dans l’histoire, si, au lieu d’exercer un pouvoir combattu, précaire, mal défini, elle avait porté une couronne indépendante et libre comme la reine Élisabeth, sa contemporaine. Du moins Catherine se montra digne d’une telle rivale ; elle lui enleva le Hâvre, que les huguenots, par un tort impardonnable, alors commun à tous les partis, avaient livré à l’Angleterre. Chose remarquable ! en