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Mantoue, tout souverain qu’il était. Jamais les Françaises n’ont aimé à s’expatrier ; d’ailleurs, le refus de Mme de Lesdiguières s’expliquait facilement par la réputation du duc. Sans être déjà vieux, il était usé par la débauche ; avec les impôts dont il écrasait son petit pays, il entretenait un sérail asiatique. En outre, sa première femme venait de mourir d’une manière assez brusque, et ceux qui en parlaient le plus favorablement pour ce prince, assuraient qu’elle était morte de chagrin.

Les Lorrains, à l’affût de toutes les occasions, résolurent de profiter de ce qu’ils appelaient sans doute la folie de Mme de Lesdiguières. Une des princesses de la maison de Guise, la duchesse d’Elbeuf (Françoise de Navailles), avait alors une fille à marier. Mme d’Elbeuf était une femme brusque, ignorante[1] et grossièrement ambitieuse. Bien différente de sa mère, la jeune Suzanne était douée d’un caractère très doux, et, si l’on en juge par ses portraits, d’un extérieur séduisant. Ce n’était pas une de ces figures à la Mignard, dont la coquetterie semble l’expression naturelle, mais, ce qui est rare au XVIIe siècle, une beauté mélancolique et touchante. Sa mère, tous ses parens lui proposèrent le duc de Mantoue, ou plutôt lui signifièrent l’ordre de l’épouser. À cette nouvelle, elle frémit. L’horrible réputation de Gonzague se présenta à son esprit : elle essaya de refuser à son tour. Alors toute la maison de Lorraine se mit après Mlle d’Elbeuf, et vainquit sa résistance. Suzanne obéit. Un seul espoir lui restait. Louis XIV avait été contraire à ce mariage ; peut-être ne lui déplaisait-il que par la vieille raison d’état, qui s’opposait aux alliances des Guise dans les cours étrangères ; peut-être aussi et c’est le plus probable, le roi, avait-il reçu l’aveu des répugnances de Mlle d’Elbeuf. De tout temps, Louis XIV avait aimé les confidences. Quoique désintéressé par la dévotion et par l’âge, il accueillait encore volontiers les belles affligées. Il ne les consolait plus ; il les écoutait toujours. Cependant l’opposition royale ne tarda pas à être levée par les intrigues et les instances des Lorrains. Pour assurer, pour hâter le mariage projeté ils n’épargnèrent rien : ils se servirent de tous les moyens, selon l’usage constant de leur maison. À la vérité, le temps pressait ; le péril était imminent. D’autres amours avaient fait oublier à M. de Mantoue sa belle fiancée. Léger, inconstant, peu curieux de sa parole, le duc avait quitté Paris, ne songeant plus qu’il devait s’y marier dans quelques jours. Mlle d’Elbeuf se croyait

  1. « J’ai trouvé Mme d’Eleuf toujours à l’agonie, et il est étonnant qu’elle vive encore ; je l’ai vue dans une grande résignation pour la vie ou pour la mort, mais la même brusquerie que vous lui connaissez en pleine santé ; elle répond à ceux qui lui parlent de Dieu comme elle grondait ses laquais ; en voici un trait. Elle se comparait à Job ; le curé, lui dit : « Il y a de la différence en ce que vous avez eu la consolation de recevoir Notre-Seigneur. » Elle lui répondit : « Et pourquoi diable le bonhomme job n’a-t-il pas reçu l’extrême-onction ? Je ne trouve pas cela bien. » Mettez à cela son ton. Elle en dit beaucoup de même force. » (Lettres de Maintenon, t. VII, Amsterdam, 1757.)